Gilbert Richer - Psychologue
info@pouvoir-et-conscience.com



Le développement du pouvoir
Les pouvoirs d’être et d’agir sur soi

Mais pourquoi est-ce que j'agis
comme je ne veux pas?

J. B., cliente


     Mon objectif est ici de vous sensibiliser à l'importance cruciale de la notion de pouvoir dans la compréhension des différentes facettes de la conduite humaine et de ses perturbations. Ce pouvoir revêt deux facettes bien précises et qui jouent un rôle essentiel dans l'accession à l'identité ou la mise en place d'une structure de dépendance affective. Il s'agit des pouvoirs d'être et d'agir sur soi. Toute perturbation quant à l'efficacité de leur gestion place la personne en danger de pouvoir.

     Tout être vivant doit obligatoirement disposer d'une certaine quantité d’énergie s’il veut assumer sa vie, sa survie. Les variations en intensité de cette énergie sont fonction de la rencontre entre le milieu intérieur, défini par les besoins, pulsions, désirs, et le milieu extérieur avec ses multiples résistances qui peuvent en émerger. À la base de tout passage de la volonté à la détermination, de la simple expression de soi à l’affirmation de soi et à la revendication, de la colère à l’agression puis à la violence,
l’être humain entier est ce pouvoir. Son importance est telle que sa gestion détermine à elle seule les deux positions de vie possibles : agir, par l’accession à l’identité et à l’autodétermination, ou subir, par la stagnation du développement de sa propre vie intérieure dans la dépendance affective, cette façon d’être et de se comporter par l’attribution du pouvoir sur soi à autrui.

     Toutes les personnes en difficulté éprouvent toutes et sans aucune exception une perturbation de la gestion de ces deux types de pouvoirs. Elles sont toutes à la recherche de solutions leur permettant la récupération de leur pouvoir et de leur liberté d’être par l’élimination de la crainte d’être véritablement elles-mêmes qui asphyxie leur élan vital, et l’accession au pouvoir d’agir sur soi et de se déterminer elles-mêmes, de présider enfin seule à leur propre destinée en se libérant de toute attribution de ces pouvoirs à autrui. En ce sens, la notion de pouvoir permet la compréhension tout autant que les solutions aux différentes formes de perturbation affective, telles la dépression, la délinquance, la passivité réactionnelle ou l’impulsivité.

     Ce premier article portant sur la notion de pouvoir vise la présentation succincte de la nature ainsi que de la dynamique du développement de ces deux types de pouvoirs à partir desquels tout être humain accède à la santé affective ou à sa perturbation.

Le pouvoir d’être

     La notion de pouvoir traduit la présence des pulsions de vie à la base de tout élan vital. Elles puisent leur énergie dans les ressources que recèle l’agressivité qui, dans sa racine étymologique, signifie ¨aller vers…¨, ¨se diriger vers…¨. Du nourrisson qui hurle l’urgence de la satisfaction de ses besoins en passant par le jeune pubère, qui clame haut et fort le droit (le besoin) à son autonomie décisionnelle, et par l’adulte qui oeuvre à l’acquisition de son identité ou qui s’insurge avec une colère bien canalisée contre un pouvoir qu’on cherche à lui imposer, la conduite humaine traduit avec constance et de multiples façons la présence d’un pouvoir, de sa naissance à sa mort.

     Alors que le pouvoir d’agir sur soi ne peut que s’acquérir au fur et à mesure de la croissance vers la maturité, le pouvoir d’être quant à lui est présent dès la naissance : il est une donnée initiale du développement et connaît des fluctuations en fonction tant de l’impact du monde extérieur sur l’enfant (et sur l’adulte, bien sûr) que de la puissance émergeant des besoins, désirs et pulsions qui meublent sa vie intérieure. Il circule entre différents paliers d’intensification que sont les pouvoirs d’être, de s’exprimer, de s’affirmer, de revendiquer, l’agression et la violence, pour prendre également les couleurs de la colère, la rage, la haine et la vengeance, des affects (ce qui est ressenti) traduisant tous différents niveaux d’amplification de l’instinct de l’agressivité.

     Correspondant à la parfaire liberté d’être et essentiel à la protection de la santé mentale, ce pouvoir inné d’être soi se doit d’être préservé et ne souffrir en aucun temps d’une répression indue, compte tenu qu’il assume la libre circulation de l’énergie vitale et de l'équilibre dynamique. Si la gestion de ce pouvoir doit bien sûr subir un raffinement lors de la socialisation de l’enfant, en aucun temps ce volet éducatif ne doit-il interférer de façon à conduire l’enfant à une sensation traduisant le moindre danger de demeurer soi au travers l’expression libre de son pouvoir d’être.

Le pouvoir d’agir sur soi

     Le pouvoir d’agir sur soi est absent à la naissance et ne peut s'acquérir qu'au fur et à mesure du développement de l'autonomie et des ressources individuelles. Comme l’enfant ne peut évidemment pas faire l’objet de sa propre observation, il ne peut initialement agir de façon à modifier consciemment sa conduite par lui-même. Ce pouvoir d’agir appartient initialement aux parents qui en sont les possesseurs exclusifs puisqu’ils disposent seuls des pouvoirs de permissions et d’interdictions. Ce n’est que lors du passage à l’adolescence, alors que la maturation de la pensée permet l’abstraction et conséquemment la conscience de soi que l’enfant devient en mesure d’accéder à une maturité de maîtrise de son propre pouvoir d’agir sur soi, de se déterminer lui-même en fonction de décisions autonomes à propos de sa propre personne, pour autant que la crise pubertaire ait connu une résolution positive, bien évidemment, ce qui n'est malheureusement plus la règle.

     Au même titre que le pouvoir d’être, le pouvoir d'agir sur soi tire sa puissance des mêmes ressources fournies par l'instinct de l’agressivité. Si ces deux pouvoirs connaissent chacun différents paliers d’intensification, le pouvoir d’agir possède ceci de particulier qu'il s'inspire de différents niveaux de motivation. Si l’enfant peut graduellement agir sur sa conduite et en modifier certains aspects bien avant son adolescence, sa motivation demeure toutefois limitée aux peurs des conséquences de ses comportements, comme à l’âge de trois ou quatre ans lors de son passage à la phase de l’autoprotection, ou aux exigences du conformisme, comme à l’âge de six et sept ans. Ce n’est que lors de l’accession à l’adolescence que ce pouvoir d’agir sur soi devient en mesure de bénéficier du raffinement et de la puissance graduelle de la conscience de soi, pour s’alimenter dès lors d'une motivation liée aux exigences de l’image et l’estime désirées de soi. En d'autres termes, ce n'est plus la peur des conséquences ou le conformisme qui guident la conduite mais bien maintenant le besoin profond de se plaire à soi-même, le souci d'entretenir une expérience satisfaisante avec soi dans le respect de l'image et de l'estime désirées de soi. On oublie en effet et trop souvent que la conscience est le tribunal du face à face avec soi.

     L'importance de ces deux types de pouvoirs dans l'accession à la santé mentale permet donc de saisir un aspect capital de toute qualité d'éducation. Cette dernière doit permettre à l’enfant de conserver puis de raffiner son pouvoir d’être par la libre expression de soi et l’affirmation de soi, tout en l'amenant à réaliser l'apprentissage de l’inutilité de l’agression et de la violence dans des rapports humains où la survie est absente. Dans un second temps, ces mêmes conditions éducatives doivent permettre à l'enfant sa libre accession au pouvoir éventuel d’agir sur sa personne, c’est-à-dire de se doter d’un processus décisionnel conscient et axé sur la façon avec laquelle il entend maintenant disposer de lui, dans le respect de soi et des autres. Comme j’en discuterai lors d’articles subséquents, c’est à la fois la qualité de gestion de ces deux types de pouvoir et leurs interrelations qui permettent la compréhension du processus d’acquisition de l’identité ou à l’inverse, de la dilution de sa personnalité dans une structure de dépendance affective.

     Afin que le processus de développement de ces deux pouvoirs daigne s’accomplir, toutefois, il faut bien entendu que l’autorité parentale se conduise de façon à en permettre l’accomplissement. Ce processus de responsabilité éducative implique non seulement le maintien de la permission d’être soi à l’enfant tout au long de son développement mais également la remise graduelle du pouvoir d’agir entre ses mains, au fur et à mesure de son évolution vers la capacité de se gérer lui-même.

     Un tel processus ne voit jamais le jour dans les familles dysfonctionnelles où l’échec de cette mission éducative génère à l’inverse l’apparition de la peur d’être soi, au travers la présence d’anxiété, d’angoisse et de culpabilité. C'est lorsque cette peur d'être soi se substitue à la liberté et au pouvoir initial d’être soi que se développe le scénario constitutif de toute perturbation affective : la négation de soi assure dorénavant le maximum de confort affectif et le minimum de souffrance. En d'autres termes, lorsque l'enfant se bute à une interdiction d'être librement lui-même au travers une souffrance qui lui est imposée chaque fois qu'il transgresse cette règle, il ne lui reste qu'à remplir cette exigence afin de souffrir le moins possible; c'est ainsi qu'il réalise l'apprentissage toxique d'un bien-être maintenant axé sur la négation de sa personne et qu'il inverse ainsi les conditions initiales de sa naissance où ce sont la liberté et le pouvoir d'être qui guident la conduite.

     Outre son action perturbatrice sur le pouvoir d'être, la famille dysfonctionnelle refuse la remise du pouvoir d’agir sur soi entre les mains de l’enfant. Le maintien et l'exercice abusif de ce pouvoir par les parents, satisfaisant ainsi leur propres besoins à cet effet, véhicule donc une interdiction auprès de l’enfant de se déterminer lui-même et de se comporter différemment des attentes parentales. L'enfant ne peut donc accéder au pouvoir d'agir que lui permet pourtant sa croissance vers l'autonomie, ni en développer le plein raffinement, coupant dès lors tout accès à son identité.

     C’est donc à la fois l’impossibilité de toute poursuite du pouvoir d'être et la privation de tout accès au pouvoir d'agir sur soi qui ouvrent la porte à un scénario de dépendance affective et qui génèrent la souffrance, au minimum le malaise avec soi, pour entraîner un dérèglement parfois pathologique de la personnalité. Je me rappelle ici une dame âgée de 56 ans qui, en sanglots, traduisait en ses propres mots et de façon dramatique cette absence totale du pouvoir d'agir sur soi et d’emprise sur sa personnalité : ¨Mais pourquoi donc j’agis comme je ne veux pas?¨. Voilà ce qui se produit lorsque les peurs acquises durant l'enfance maintiennent leur emprise sur les commandes de la personnalité.

     La résolution positive ou négative du développement de ces deux pouvoirs détermine directement les deux positions fondamentales de la vie. Les personnes disposant de leurs pouvoirs d’être et d’agir ne subissent jamais l’action du pouvoir des autres ou des événements : elles sont détentrices de cette puissance décisionnelle à l’intérieur de laquelle l’atteinte de leur identité traduit l’absolue priorité accordée à leur propre jugement ainsi qu’à leurs propres sensations. Elles sont littéralement ¨au-dessus¨ des situations, devant lesquelles elles ont tôt fait d’agir ou de réagir avec une saine agressivité, canalisée dans une belle colère au service de la détermination, plutôt que de subir les événements ou le jugement d’autrui et de verser conséquemment dans différents scénarios nourris par la peur des réactions d’autrui, telles le rejet, l’abandon ou le jugement, et une recherche infantile de reconnaissance et d’amour de leur personne.
     
Il est facile de reconnaître ici les liens entre l’accession à une conscience efficace de soi, d’une part, et d’autre part la saine gestion de ces pouvoirs d’être et d’agir sur soi. Plus la conscience de soi devient aiguë, plus le pouvoir d’être soi cherche à imposer sa primauté, sa loi naturelle, et plus le pouvoir d’agir sur soi s’enracine dans la détermination et dans le souci d’une image et d’une estime positives de soi.

Conclusion

     Ainsi donc, que faut-il retenir de cette première notion de pouvoir, de cette expression ultime des pulsions de vie que recèle l’agressivité? Tout d’abord, il existe une relation directe entre la santé mentale (affective), d'une part, et d'autre part la liberté ainsi que le pouvoir d’être soi, présents à la naissance. Il s’agit là d’une condition initiale du développement et l’obligation de son respect est incontournable.

     Dans un second temps, tout être humain, sous réserve d’une absence de potentiel à cet effet, possède cette capacité d’accéder à la conscience de soi et, partant, au pouvoir de se modifier lui-même puis d’accorder à sa vie le sens et la direction désirés. L’accession à l’identité est tributaire de l’exercice et de la parfaite maîtrise de ces deux types de pouvoir; toute perturbation de ceux-ci conduit l’individu à une dépendance toxique à autrui pour le cimenter dans des conditions de développement qui le tiennent à distance de toute accession à son identité, c'est-à-dire à cet état affectif de sérénité issue d'une parfaite correspondance entre qui je suis et qui je juge devoir être.

     Dans un troisième temps, toute perturbation de la vie affective équivaut à une information à l’effet d’une perturbation de ces deux pouvoirs, devenant ainsi une occasion de rectifier consciemment la gestion de sa conduite par la récupération du pouvoir perdu d’être soi et par l’accession, tardive, au pouvoir d’agir sur soi. En d'autres termes, la présence d'anxiété, d'angoisse et de culpabilité ne correspondent pas à une pathologie mais bien à une information disponible à la conscience que quelque chose ne va plus avec soi et que des changements sont maintenant requis quant à la façon avec laquelle nous nous sommes gérés jusqu'à ce jour. Voilà définie l’utilité certaine du malaise affectif sous toutes ses formes et sous toutes ses intensités, dont il sera question dans les articles qui porteront sur l’intervention clinique.

Gilbert Richer Psychologue
Avril 2004



© Gilbert Richer. Tous droits réservés 2004 - 2012
[ conception/programmation du site BJPcommunication.com ]
[ conception graphique Yves Loignon ]