Gilbert Richer - Psychologue
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Les deux rôles dans la compétence parentale

Tout le secret de toute éducation
est de passer entre les deux écueils
de l’autoritarisme et du relâchement.

E. Mounier


     S’il est un thème qui retient l’attention depuis quelque temps, c’est bien celui de la responsabilité parentale. Que l'on pense à l’incidence de plus en plus fréquente de l’enfant roi ou de ces enfants violentés dont le nombre croissant accule les services sociaux à un débordement de leurs capacités à répondre aux situations de signalements des enfants en danger, tout suggère un besoin criant en ce qui concerne le développement de la compétence parentale.

     Il faut bien l’admettre, le marasme éducatif suppute de toutes parts et un sérieux coup de barre est requis. Les professionnels oeuvrant dans les milieux de rééducation que j’ai eu l’occasion de rencontrer confirment unanimement que près de la moitié des enfants dont ils ont la responsabilité dans les centres d’accueil arborent d’importants problèmes de comportements et de violence gratuite parce qu’ils sont précisément des enfants rois. Mes dix années d’expérience dans le milieu carcéral canadien m’ont permis de noter qu'un nombre de plus en plus élevé de ces enfants subissent d'ailleurs des sentences liées au trafic de stupéfiants et de violence conjugale.

     Des constats frémissants sont également réalisés par les enseignants chez qui l’épuisement professionnel ainsi que la consommation d'antidépresseurs se poursuivent à un niveau alarmant; la majorité de ceux que j’accompagne au plan clinique soulignent sans hésitation qu’ils doivent effectivement accorder près de 50% de leur temps à la discipline pour espérer accomplir ensuite leurs tâches d’enseignement. En outre, tant les enseignants du secondaire que les élèves eux-mêmes soutiennent que près de la moitié de ces derniers suivent la totalité de leurs cours alors qu’ils sont sous l’influence d’hallucinogènes. Le symptôme de la déviance chez les jeunes de même que l'absence éducative de parents confrontés à la résolution de leurs propres difficultés sont tels qu'une école privée pour adolescents a même songé à l'instauration d'un cours obligatoire de politesse.

     Si les parents avaient autrefois beaucoup d’enfants, ce sont ces derniers qui ont maintenant beaucoup de parents, conséquence malheureuse des problèmes d'intimité chez les adultes et de l'appétit insatiable chez certains pour le plaisir et la facilité. Au Québec, qui continue de détenir le triste record des divorces et séparations, des suicides chez les 15-25 ans et du décrochage scolaire parmi les grands pays industrialisés, de nombreuses interventions voient le jour pour soutenir les parents dans leur recherche d'outils à l'appui de leur volonté d'une éducation de qualité pour leurs enfants. Même problématique en France où des associations voient le jour pour venir en aide aux parents mais où les problèmes de débordement des comportements des enfants en placement atteignent parfois une telle ampleur qu’ils mettent en péril le fonctionnement même de certains centres gérés par la PJJ (Protection judiciaire de la jeunesse ¨PJJ¨ et ¨ADOLESCENTS (14-21 ANS)¨).

     Le présent article se veut une contribution à la connaissance des grands paramètres régissant la compétence parentale, par l’examen préliminaire des deux rôles soutenant son accession : l'encadrement et l'accompagnement. D’autres articles suivront pour présenter certaines responsabilités qui incombent aux parents dans leur action éducative, ainsi que les principales attitudes toxiques et leurs conséquences qu'il m'a été donné de rencontrer en trente années d'intervention clinique.

L’éducation et le contexte de développement.

     Comme j’ai l’habitude de le souligner en conférence, si l’on nous a appris à manger, à marcher, à lacer nos souliers, à compter, à bien tenir notre crayon pour écrire correctement, à connaître l’histoire et la géographie, en aucun temps ne nous a-t-on préparés à l’essentiel, c’est-à-dire à entrer en relation de nature intime et accompagner un enfant dans le développement éventuel de son identité. Pourtant, ce sont là les réalités les plus cruciales à partir desquelles se dessine notre plus grande sensation d'accomplissement à l'automne de notre vie. Nous avons été formés à devenir une main d’œuvre compétente mais en aucun temps un parent compétent.

Si certains parents refusent l'engagement dans l'intimité en écartant d'un revers de la main cet appel à la maturité et à la responsabilité, comme il en est fréquemment le cas chez ceux qui sont aux prises avec une problématique d'alcoolisme et de toxicomanie, d'autres souffrent du manque de connaissances qui pourraient leur permettre une action éducative qui les tient à coeur. Et comme si ce n'était pas suffisant, les enfants continuent de subir toute une pléthore d’influences extérieures tout aussi nocives que débiles, résultat du laxisme de nos organisations sociales. Il n'est donc pas surprenant que les parents ne se reconnaissent plus en leurs enfants et que la courroie de transmission des valeurs et de l'expérience soit rompue.

     Arrêtons-nous un moment pour saisir pleinement le sens de l'éducation en réalisant quelques observations élémentaires du développement. Soulignons tout d'abord que le mot éducation tire ses racines du verbe latin ¨Educare¨, qui signifie ¨faire sortie de…¨, ¨tirer de…¨. On peut donc soutenir qu'éduquer un enfant signifie qu’il faille le placer dans un contexte de développement lui permettant de découvrir qui il est en puissance. On ne devient donc et jamais quelqu’un : on ne peut que découvrir son potentiel d'être par le truchement du développement éventuellement conscient de ses propres capacités, ses habiletés, son potentiel. Pour rappeler cette phrase du philosophe Alain : ¨L’enfant n’est pas un vase qu’on remplit mais un feu qu’on allume. ¨

     Nous observons une évolution de l'être humain de l'enfance à la maturité par le passage de la dépendance à l'autonomie tant physique qu'intellectuelle et affective. S'exprimant librement depuis la naissance, culturellement vide mais rempli d'instincts primaires et dirigé par l'hégémonie du principe de plaisir, l'enfant accède graduellement au langage puis à la pensée syncrétique (pensée sans concept) et finalement au raisonnement logique proprement dit vers l'âge de 7 ans. Parallèlement à cette évolution vers l'autonomie et la maturité, il devient contraint au développement du principe de réalité, c'est-à-dire l'assimilation de certaines règles culturelles et morales imposées par les parents. Découvrant graduellement le monde extérieur qui l'entoure et qu'il pénètre ultérieurement seul, il fait l'apprentissage de la scolarisation pour déplacer ainsi et lentement les charges affectives de ses parents sur d'autres figures adultes, c'est-à-dire qu'il commence à accorder de l'importance à d'autres figures d'autorité que celles de ses parents. Ces débuts de la scolarisation induisent chez lui le désir de l'accomplissement ainsi que les débuts de la socialisation, du partage, de la collaboration et du principe du travail.

     Nous observons ensuite que c'est vers la fin de la puberté qu'émergent les balbutiements de la conscience proprement dite, ainsi que la sexualité génitale (capable de reproduction) et que s'amorce la lente séparation avec les parents pour conduire le jeune à un fonctionnement désormais nourri par l'accession à l'observation de soi et un jugement de plus en plus autonome porté sur sa propre conduite. Le succès et la vitesse de la résolution des stades de développement antérieurs, de même que celui du passage à cette première étape de la vie adulte sont bien sûr fonctions de la qualité de l'éducation et de l'amour dont il aura été l'objet de la part de ses parents, nonobstant l'importance des ressources personnelles et la contribution nocive de certains traumatismes qui auront pu affecter cette orientation du développement. L’amour l'aura convaincu de la qualité de sa personne alors que la carence aura plutôt contribué à semer le doute de soi, ce cancer affectif sur lequel s'érigeront par la suite la culpabilité, le sentiment d'infériorité et la peur d'être soi.

     Puis viennent ensuite les étapes subséquentes de l'apprentissage au travail, avec la compétition le plus souvent aliénante qui l’accompagne, l'engagement dans l'intimité, véritable occasion de faire le point avec soi, ainsi que son produit, les enfants. Les charges affectives se déplacent sur ces derniers et les nouveaux parents tentent d'offrir à leur progéniture le meilleur dont ils sont capables, dans la majorité des cas à tout le moins. Si ces nouveaux parents doivent prendre conscience du pouvoir absolu dont ils disposent sur leurs enfants dans l'enfance et en développer une saine gestion, ils devront admettre par la suite leur passage à l'opposé, c'est-à-dire une gestion inévitable du sentiment d'impuissance quant à l'impossibilité d'agir dorénavant sur leur enfant lors de l'accession de ce dernier à l'adolescence. Cette étape deviendra cruciale pour les parents dans le sens où ils seront en mesure d'observer et de vivre les conséquences de leur action éducative, de l'amour et de l'accompagnement dont ils auront été capables.

     Parallèlement à ce long processus de croissance de l'enfance à la vieillesse se développe une composante de la personnalité humaine dont l'étude est des plus négligées à mon sens, soit la conscience de soi, dont les degrés de profondeur et d'exigence augmentent avec la simple maturation et l'expérimentation de la vie. Ce sera d'ailleurs cette conscience de soi qui nous imposera tous le bilan de notre vie, ce bilan de nos actions sur les choses et les personnes : de « bébé en couche » dépendant, au réflexe de succion et à une vie dictée essentiellement par le principe de plaisir, nous voilà devenus des personnes âgées, qui font maintenant face au tribunal de la conscience pour une évaluation globale de l'ensemble de notre conduite, de nos actions sur les choses et sur les personnes. Les enfants ont quitté le foyer familial depuis longtemps pour entretenir avec les parents une nature et une fréquence de relations à la lumière de ce dont ils auront été l'objet de leur part. Qu'on l'admette ou non, cette relation ultérieure qu'offrent les enfants à leurs parents maintenant âgés devient le plus puissant révélateur de la qualité éducative dont ils auront été capables. Voilà fort probablement une explication valable à la solitude ou à la violence que subissent certains parents âgés de la part de leurs enfants.

     Voilà en peu de mots et à peu de choses près les différentes étapes de la vie que nous sommes tous en train de franchir et que nos enfants ainsi que tous les enfants à naître traverseront. La question qui s'impose dès lors est la suivante : en quoi sommes-nous préparés d'abord comme individus à gérer en nous ce propre processus d'évolution vers la conscience, puis ensuite comme parents dans l'accompagnement de nos enfants au travers ces mêmes étapes, menant toutes et chacune à la gestion autonome et consciente de sa vie, à la maîtrise de ce pouvoir inhérent à chacun d’agir sur soi et de se déterminer soi-même? Afin que s’accomplisse cet objectif ultime du développement, nommément l’accession à son identité et à son propre pouvoir de présider à sa destinée, quelle forme doit revêtir l'éducation afin que daigne s'accomplir tout ce processus?

L’encadrement et l’accompagnement

     Définissant les deux éléments constitutifs de toute compétence parentale, l'encadrement et l'accompagnement sont responsables du développement harmonieux et équilibré des pouvoirs d’être et d’agir sur soi à la base de l'accession à l'identité. Comme ces deux notions de pouvoirs ont déjà fait l’objet d’un premier article (¨Les pouvoirs d'être et d'agir¨),le lecteur aurait intérêt à s’y référer dans le but de mieux saisir les lignes qui suivent.

     Soulignons en tout premier lieu que l’encadrement et l’accompagnement se développent de façon inversément proportionnelle. Cela signifie que l'encadrement est maximal durant les premières années de vie de l'enfant pendant que l'accompagnement demeure pour ainsi dire inexistant; ce n'est qu'au fur et à mesure de sa croissance vers la maturité, l'autonomie et la conscience de soi que prendra graduellement place l'accompagnement et que diminuera au même rythme l'encadrement. Ainsi, au plus tard à l'adolescence, l'encadrement aura disparu pour laisser place à une relation parents - enfant maintenant inspirée par un support visant à favoriser le développement de la conscience de soi, de la réflexion et de la décision dans l'accession du jeune à l'autodétermination. L'encadrement s'adresse donc au domaine du comportement alors que l'accompagnement soutient le développement de la pensée et de la conscience.

     Une éducation de qualité implique une gestion saine et équilibrée de chacun de ces deux rôles fondamentaux et du passage harmonieux du premier au second. Comme son nom l’indique, l’encadrement doit fournir une structure intelligente de permissions et d’interdictions, aptes à permettre l’épanouissement de la personnalité de l'enfant, c’est-à-dire favoriser l’être en devenir dont il aura la responsabilité ultérieure et exclusive de la gestion. Ne devant débuter qu’au plus tôt à l’âge de deux ans, période qualifiée d’impulsive et qui perdure jusqu’à environ l'âge de quatre ans, l’encadrement doit impérativement soutenir l’exercice du pouvoir et de la liberté d’être soi, présents à la naissance. En aucun temps ce premier rôle éducatif ne doit-il donc générer la peur d’être soi et la négation éventuelle de la personnalité chez l’enfant. Une telle situation signifierait la présence d'un abus de l'encadrement.

     Le développement de l'enfant doit subir les bienfaits de l'encadrement, sous peine non seulement de verser dans un profil d'enfant roi mais aussi d'évoluer tout au long de sa vie dans une anxiété perpétuelle. Je rencontre à l'occasion des adultes chez qui cette persistance toxique de l'anxiété est précisément et directement liée à l'absence d'encadrement durant leur développement; ils évoluent dans une espèce de vide de référence, incapables de toute décision et de confiance dans leur propre jugement. Tout se passe comme si l'absence de balises claires et nettes durant leur développement leur avait interdit tout apprentissage de ce qui est possible ou non, de ce qui est bien ou non.

     À l'opposé, les enfants victimes de la répression éducative, cet exercice de mutilation de la personnalité, ont subi un abus d'encadrement sous lequel ils ont dû taire leur pouvoir ainsi que leur liberté d'être. Ayant déserté la confiance en leur propre jugement pour aboutir dans une conduite axée sur la priorité accordée au jugement d'autrui, ils étouffent sous la répression de leur propre énergie vitale pour devenir des candidats de premier choix à l'angoisse et la dépression. Rarement oseront-ils étaler leur véritable personnalité, dirigés qu'ils le sont par la peur d'être soi et du rejet de leur personne. De la sorte, ils assassinent leur propre personnalité.

     L'encadrement doit donc permettre la libre circulation de l’énergie vitale de l’agressivité, du simple pouvoir d’être au pouvoir de revendication, en passant par les niveaux d’expression et d’affirmation de soi, en même temps qu'il doit induire le contrôle adéquat des pulsions d'agression et de violence, sauf devant les situations requérant de tels comportements. Dans un tel cas, on parle alors d’équilibre éducatif : l’enfant conserve en effet son pouvoir et sa liberté d’être lui-même, de s’exprimer et de contester selon le cas l'action parentale, source privilégiée de connaissance de soi pour les parents, tout en assimilant les mécanismes du contrôle de l'impulsivité sous l'action des interdits parentaux. Il exprime donc et librement les contenus de sa pensée et de sa vie affective suite à la permission qui lui est accordée à cet effet, en même temps qu'il devient contraint au développement du contrôle de soi. Par une telle action équilibrée de l'encadrement éducatif, l’enfant devient un être social tout en demeurant lui-même.

     Cette première étape de la mise en place du cadre éducatif doit être parachevée au plus tard vers l’âge d'environ 4 ans afin de permettre le passage du stade de l'impulsivité au stade suivant, celui de l'autoprotection. Ce passage devient assuré lorsque la répression de l'impulsivité par les parents a permis l'apparition chez l'enfant de la peur des conséquences de sa conduite. En d'autres termes, l'enfant commence à développer un contrôle minimal sur sa conduite par crainte de subir les conséquences que génèrent les pertes de contrôle sur son impulsivité. Cette émergence de la peur des conséquences est d'une importance capitale pour le développement de l'équilibre personnel; non seulement permet-il le développement du contrôle de soi et le passage au stade de l'autoprotection mais il permet également l'ébauche de la morale, dans le sens où l'enfant commence à éprouver un certain malaise, voisin de la culpabilité, en situation de perte de contrôle sur son impulsivité. C'est donc au travers la peur des conséquences que se développent les notions de ce qui est bien et de ce qui ne l'est pas.

     Tout ce qui entoure la préparation de ce passage de l'impulsivité à l'autoprotection souligne l'importance majeure de la rencontre éducative entre le ¨petit¨ pouvoir d'être qui se développe lentement chez l'enfant et la ¨puissance¨ absolue du pouvoir d'agir sur ce dernier dont sont détenteurs les parents. Le déséquilibre pouvant affecter la gestion de ce pouvoir parental peut dès lors revêtir deux formes : son absence, qui favorise alors la mise en place du laxisme éducatif et d'une permission accordée à l'enfant d'agir à sa guise, ou son excès, qui devient l'équivalent d'une interdiction à l'enfant d'exprimer qui il est. Le laxisme interdit donc à l'enfant tout apprentissage d'un contrôle adéquat de son pouvoir d'être et de l'agressivité qui le sous-tend, pavant la voie au développement de l'enfant roi impulsif, alors que la répression le force plutôt au refoulement de cette énergie vitale, ouvrant toute grandes les portes à la dépendance affective, à la dépression ou à la révolte.

     Une fois l'encadrement bien en place, c'est maintenant au tour de l'accompagnement de voir lentement le jour et de s'installer aux commandes de l'acte éducatif au fur et à mesure du développement de l'autonomie et de la maturation de sa pensée chez l'enfant. C'est lors de l’apparition de la puberté que chevaucheront l'encadrement et l'accompagnement : les parents doivent maintenir un cadre minimal afin d'éviter les dérapages fréquents à cette période du développement tout en favorisant un dialogue constructif avec le jeune afin de permettre l'épanouissement de la réflexion de plus en plus consciente sur sa conduite. La raison du maintien de l'encadrement à cette période du développement est liée aux faits de l'amplification de l'agressivité propre à la puberté et des pertes de contrôle fréquentes qu'elle génère.

     Nous devons comprendre ici en tant que parents l'importance cruciale d'accueillir favorablement cette intensification de l'agressivité à cette période du développement. Fournie par la croissance accélérée du corps, cette agressivité joue deux rôles essentiels; elle permet l'affranchissement éventuel de l'enfant du pouvoir détenu par les parents sur sa personne, en intensifiant l'affirmation de soi, et le prépare à faire face seul à l'énergie agressive des autres dans le but de se tailler une place dans la jungle des relations humaines, sans quoi il deviendra vite submergé par le pouvoir de ses semblables. Il m'a été donné de rencontrer plusieurs adultes qui ont grandement souffert de la tendance excessive au pacifisme de leurs parents; ces derniers avait réprimé toute manifestation de leur agressivité au point où ils étaient maintenant incapables de réactions affirmatives et combatives devant les événements. Anxieux, angoissés à souhait et aux prises avec une intense culpabilité devant leur propre agressivité, c'est fréquemment qu'ils quittaient alors leur emploi dans un congé de maladie pour épuisement professionnel.

     Ce n'est que lors du passage de la puberté à l'adolescence, soit vers l'âge d'environ 16 ans, que doit s'amorcer la ¨lente¨ extinction de l'encadrement pour laisser exclusivement place à l'accompagnement, alors que les parents proposent au jeune l'examen des situations vécues ainsi qu'une réflexion sur leur sens et les solutions possibles. La puberté est maintenant chose du passé de sorte que la croissance accélérée du corps fait maintenant place au développement de la pensée et de l'abstraction, c'est-à-dire cette capacité de faire de soi son propre objet d'observation, caractéristique de la conscience humaine.

     Il importe de rappeler ici que cette période du développement confronte les parents à l'inverse du pouvoir absolu dont ils disposaient sur l'enfant depuis la naissance : ils doivent maintenant gérer le sentiment d'impuissance provoqué par l'absence de toute emprise sur les décisions de plus en plus autonomes de leur adolescent. Le passage de l'encadrement à l'accompagnement contient donc un passage simultané du pouvoir à l'impuissance, obligeant les parents à accepter que leur jeune puisse maintenant se conduire différemment de ce qu'ils souhaitent à propos de lui.

     Nonobstant l'importance du rôle de l'encadrement, c’est de façon plus particulière par l’accompagnement que les parents assument leur rôle de courroie de transmission des valeurs et de l’expérience, et que se confirment des relations harmonieuses et amalgamées de respect et d’amitié entre l'enfant et les parents. Un tel aboutissement de la relation parents - enfants dépend bien sûr de la nature et de la qualité de l'encadrement qui auront été prônées tout le long du développement. Il va de soi que la désolation actuelle des couples et l’éclatement conséquent des familles entâchent cette présence parentale de l'accompagnement ainsi que la transmission de la pensée, de sorte que les parents se reconnaissent de plus en plus difficilement dans leurs enfants qui eux, peuvent tout aussi difficilement accéder à un respect dont ils n’ont pu être les bénéficiaires. On oublie trop souvent cette grande leçon de la philosophie : c’est le respect de l’éducateur envers l’éduqué qui assure la réciproque.

     Le maintien à cet âge d’un encadrement excessif au détriment de l’accompagnement stérilise l’autonomie et la confiance en soi chez le jeune. Il traduit le symptôme pathologique de l’autoritarisme parental et de leur besoin infantile de pouvoir narcissique sur l’enfant; en d'autres termes, l'enfant devient l'outil dont les parent se servent pour assouvir un pouvoir qu'ils ne sont pas capables d'exercer ailleurs, particulièrement sur leur propre personne. Cette attitude fabrique des enfants révoltés ou insécures, alors qu'ils demeurent aux prises avec les pires anxiétés et une répression parfois absolue de leur vraie personnalité. En outre, la poursuite de cette emprise parentale, davantage caractéristique de la mère, est responsable de pulsieurs états d'angoisse chez les enfants qui, devenus adultes, demeurent soumis à cet abus de pouvoir.

     La peur et l’incapacité d’être eux-mêmes paralysent leur élan vital et l'épanouissement de leur agressivité de sorte qu’ils se momifient pour épouser un fonctionnement vidé de toute sa substance originale, accrochés qu’ils sont à l’affectivité des autres comme à une fontaine distributrice d'une affection et d'une reconnaissance infinies. Ils fuient comme la peste toute possibilité de rejet, de jugement, d'abandon et de ridicule par la mutilation de leur personnalité, convaincus de la piètre qualité de leur personne. Ils diluent leur personnalité au point où ils se perdent de vue.

     De façon générale, il faut donc retenir que si les parents ont la responsabilité de la gestion du territoire familial, en aucun temps toutefois doivent-ils abuser de leur pouvoir d'agir sur l'enfant ni permettre à ce dernier la prise du pouvoir sur leur personne. Dans un second temps, l'encadrement devient équilibré lorsqu'il permet à la fois le développement de la liberté et du pouvoir d'être chez l'enfant, ainsi que l'apprentissage du contrôle de l'impulsivité. En troisième lieu, au fur et à mesure du développement de la pensée, de l'autonomie et de la conscience de soi, l'encadrement doit faire place à l'accompagnement, condition permettant l'éducation de la pensée et de la réflexion consciente chez l'enfant. C'est de la sorte que les parents quittent le pouvoir d'agir qu'ils possédaient sur l'enfant pour le lui remettre entre ses mains.

Gilbert Richer Psychologue
Avril 2004



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