Gilbert Richer - Psychologue
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Dossier : L'enfant roi
La contribution parentale et l'enfant roi

La jeunesse ne sait que désirer
et attendre la manne.

Alain



Si la cohorte des enfants d’après-guerre, les Baby-boomers, ont contribué pour une bonne part à l’instauration d’un climat social axé sur la facilité et le plaisir, climat qui poursuit malheureusement sa dégradation et qui porte de plus en plus atteinte aux valeurs pourtant fondamentales du respect, de l'effort et de la discipline, plusieurs autres facteurs tributaires de ce contexte social soutiennent le développement d’une problématique d’enfant roi. Tel qu’il en a été fait la démonstration dans le premier article portant sur les phases de développement de ce nouveau type d’enfant ¨phases de développement¨, les parents sont les premiers metteurs en scène de ce scénario, de sorte qu’il devient important de considérer certains aspects animant la psychologie de leurs conduites éducatives ainsi que les contextes de leur développement personnel qui ont pu favoriser leur naissance.

Le taux effarent de divorce et séparation des couples, taux qui avoisine les 50% au Québec et le 40% (37,9%) en France au rencensement de 2001, et où 44,3% des enfants nés en 2002 l'ont été hors mariage, est le premier facteur en importance qu’il faille considérer. Nonobstant une minorité de parents qui en profite pour poursuivre le délestage de leurs responsabilités dans de telles situations, tel qu'il en est particulièrement le cas chez l'alcoolique et le toxicomane, il est très fréquent que le parent privé de la garde des enfants devienne victime d’une situation de droits de visites qui lui laissent peu ou pas d’occasions de satisfaire son besoin ainsi que son désir d’implication éducative. C’est ainsi que l’utilisation d’une certaine abondance matérielle et d’une trop grande permissivité, outils par l’intermédiaire desquels il cherche à démontrer son amour à ses enfants et à s’assurer de la réciproque, auront comme conséquence la culture inévitable d’un certain laxisme éducatif. Assez fréquemment, c’est au parent qui a reçu la garde que revient alors la tâche de contrecarrer cette action, tout comme l’inverse risque bien entendu de se produire. Une telle situation génère inévitablement des tensions et des conflits entre ce parent et l'enfant à chaque retour de visite alors que les premiers jours sont consacrés à saboter les conséquences du laxisme de l'autre.

Les enfants, naturellement attirés par le plaisir et la facilité plutôt que par la privation et la discipline, auront tôt fait d’exploiter le besoin affectif de ce parent qui, le plus souvent, demeure le père, victime d’un préjudice favorable et d'ailleurs douteux de la cour envers la mère. Le développement de l’enfant roi devient davantage assuré lorsque les deux parents utilisent les mêmes artifices dans ce but commun d'être aimés par leur enfant : il y a alors une compétition infantile entre eux pour devenir aux yeux de l'enfant le parent le plus sympathique.

La mise en place d’un tel circuit éducatif caractéristique de l'éclatement des couples permet d’observer également la contribution des grands-parents à ce laxisme par leurs actions de gâterie afin de diminuer les affres de la séparation chez leurs petits enfants. En outre, les nouveaux partenaires de chacun des parents mettent parfois l’épaule à la roue en agissant de façon identique de façon à être acceptés par les enfants de l'autre, quoique l’incidence de ce type de réaction soit nettement moindre. On observe plutôt une conduite traduisant la compétition avec les enfants au point où plusieurs nouveaux partenaires de vie éprouvent de la jalousie envers ces derniers, qui deviennent alors des rivaux quant au partage de la nourriture affective. Il n’est pas rare en de telles situations qu’un partenaire réclame même un choix clair et net qui, s’il devait favoriser le nouveau conjoint au détriment des enfants, planterait à coup sûr les germes d’un profond sentiment de rejet et d’abandon chez ceux-ci. Cette réaction augmente en fréquence lorsque ce partenaire réclamant un choix entre lui et les enfants n'a pas d'enfants; ne connaissant pas l'abnégation requise par la tâche parentale, il demeure donc centré sur sa personne. Mes observations cliniques indiquent que c’est le plus souvent la femme en besoin d'affection exclusive qui réclame une telle décision de la part de son nouveau conjoint.

Un autre facteur parental contributif au développement de l'enfant roi voit le jour lorsque le parent responsable de la garde procède à l'élection d'un enfant au poste de conjoint substitut. La probabilité d'une telle situation, éminemment fréquente, augmente évidemment et de façon significative en présence d'un enfant unique, alors qu’il partage maintenant seul la vie et parfois le lit de la mère, en difficulté de tendresse et de solitude. Évoluant dès lors en parfaite symbiose avec celle-ci dans une enveloppe de surprotection, il aura tôt fait de réagir lorsque sa mère établira une relation d’intimité avec un nouveau conjoint, de façon à se rendre insupportable aux yeux de cet intrus par peur de perdre sa place ou de partager son objet d'amour.

Ce diagnostic est éminemment fréquent en situation thérapeutique lorsque des mères recherchent de l’aide en vertu de problèmes de comportements chez leur enfant. J’ai récemment rencontré une patiente divorcée qui partageait cette intimité symbiotique avec sa fille de 10 ans qui adore caresser les seins de sa mère qui accueille favorablement ce type d’intimité au coucher dans une satisfaction fort probable et malheureusement inconsciente de ses propres besoins de tendresse. Nonobstant des variations significatives dans la panoplie de toutes ces réactions générées par l’éclatement des familles, on voit que la séparation des couples est un facteur de prime importance dans la mise en place de tout une pléthore de contextes éducatifs favorables à la culture de l’enfant roi et ce, dans les deux familles dont dispose maintenant l’enfant.

Un autre facteur éducatif propice au développement de ce profil apparaît lorsqu'un enfant unique bénéficie de l’attention exclusive de ses parents unis; comme le taux de natalité demeure dramatiquement bas au Québec, soit environ 1,2 enfants par famille chez le québécois de souche (statistique semblable pour la France), cette situation étale une fréquence élevée. En plus de ne point disposer d’une fratrie qui pourrait lui permettre l’apprentissage des premiers éléments de la socialisation au travers l'apprentissage du sens du partage, de la frustration, du report de la satisfaction de ses besoins et de l’empathie, il devient ce petit prince ou cette petite princesse que l’on gave d’attention et d’affection, sans oublier l’abondance matérielle dont il bénéficie généralement. Dès les premiers temps de sa scolarisation, on observe fréquemment des difficultés liées au fait de devoir subir le partage de l’attention de l’enseignant, de sorte que des réactions d'anxiété ou de déviance voient le jour selon que l'on s'adresse à un enfant roi anxieux ou dominateur.

Un autre facteur, à la dynamique toutefois un peu plus complexe mais non moins fréquente, apparaît chez ces jeunes mères adolescentes qui agissent de façon à ¨se faire faire¨ un enfant afin d’avoir quelqu’un à aimer et surtout, quelqu’un de qui être enfin aimée. L’analyse indique une utilisation égocentrique et égoïste de l’enfant pour combler leur propre carence affective, de sorte que l’enfant évolue dans une espèce d’enveloppe hermétique, pavant la voie à des difficultés majeures aux plans du développement de l’affectivité et parfois de l’identité sexuelle, qui s’ajoutent à la perturbation affective déjà en route de l’enfant roi.

Au point ultime, ces mères refusent de partager cet enfant qui demeure leur possession exclusive, de sorte qu’on retrouve dès les premières années de vie la présence d’une insécurité déjà chronique chez lui, liée à une difficulté pathologique à se détacher de la mère, renforcée par l’absence d’un conjoint qui pourrait autrement agir de façon à séparer les deux membres de ce couple. Au plan de l’identité sexuelle, une telle relation de fusion constitue toujours une hypothèse significative dans une explication possible de facteurs contributifs à l’apparition de l’homosexualité et même de la pédophilie, particulièrement dans ce dernier cas si les comportements de la mère se nourrissent en plus d’un besoin de domination. Mon expérience carcérale avec ce dernier type de déviance m’a en effet conduit à observer le rôle majeur joué par cette relation éminemment toxique entre la mère dominante et son fils dont le développement vers la maturation de la personnalité et de la vie affective devient carrément bloqué, voire anéanti dans certains cas.

L’apparition de ces jeunes mères à la dynamique propice au développement d’un enfant roi connaît une incidence assez élevée si l’on considère non seulement le fort taux d’éclatement des familles mais également l’agression, l’abus et la violence que subissent de plus en plus d’enfants. L’analyse du passé de ces jeunes filles indiquent effectivement et la plupart du temps qu’elles ont été victimes de telles conditions de développement, auxquelles s’ajoute souvent l’inceste; la fréquence élevée de ces dernières trouve sa confirmation dans la réalité de l’engorgement des services de la protection de la jeunesse, alors que des enfants en grave danger de développement continuent de demeurer dans leur famille d'origine et d’y subir une dynamique destructrice de leur personnalité, faute de ressources en placement. Incidemment, plusieurs éducateurs oeuvrant dans ces milieux fermés de rééducation soulignent spontanément que près de quatre enfants sur dix affichent maintenant une problématique d’enfant roi alors qu’auparavant, seuls les enfants victimes de répression et en pleine rébellion, se retrouvaient dans de tels centres pour le règlement de leurs difficultés de comportement.

Une mère qui me consulte actuellement avoue sans ambages que sa fille de 5 ans la contrôle de façon absolue et que la colère émerge chez elle à la moindre frustration. Cette enfant a même été jusqu'à signifier à sa mère qu'elle allait la tuer lorsqu'elle sera grande. Cette enfant prend encore ses liquides avec le biberon lorsqu’elle est à la maison, reprend sa sucette dès son arrivée de l’école jusqu’au coucher, entraînant une déformation en cours du palais qui porte atteinte à son élocution, et couche tous les soirs entre ses parents dont la relation est éminemment détériorée. Il est clair dans cette situation que l’enfant fournit un réservoir d’affection à la mère qui tient d’ailleurs le père à distance, comme si l’enfant était sa propre possession; l’analyse du passé de madame indique effectivement qu’elle gave son enfant de toute l’affection dont elle a été privée et dont elle aurait elle-même aimée être l’objet. Incapable de lui déplaire afin de s’assurer d’être aimée par sa fille et assurant une parfaite inversion de la relation parent - enfant, elle favorise clairement le profil d’une enfant roi.

Le parent qui agit donc de façon à offrir à l’enfant ce dont il a été privé, tout en évitant de lui transmettre les souffrances vécues lors de son propre développement, est donc un autre facteur contributif au développement de l’enfant roi et la prévalence de cette action de compensation demeure extrêmement importante. L’analyse du passé de ce parent indique d'ailleurs et la plupart du temps un genre de promesse faite à soi-même, soit celle de ne jamais reproduire auprès de leur enfant ce qu’ils ont vécu, non seulement par peur de le conduire dans le même sentier de souffrance mais également par la peur parfois morbide de toute ressemblance au parent colérique ou violent dont ils ont souffert les actions destructrices sur leur personne.

Ce second volet de la problématique de compensation s'explique par une relation toxique entre la culpabilité et la gestion de l'agressivité. Plus précisément, il faut comprendre ici que toute fermeté parfois requise par une situation devient immédiatement associée à la culpabilité d'une action violente qui heurte l'enfant; ce parent, devenu incapable d'affirmation de soi ou de toute revendication de changement de comportement, préfère alors ¨passer l'éponge¨ dans le but d'éviter toute émergence potentielle de culpabilité au cas où son action risque de heurter l'enfant. Les décisions éducatives qui sont retenues ne sont donc jamais motivées par ce que réclame la situation mais bien plutôt par le souci de se protéger contre la culpabilité. Les parents, victimes et conscients de leur vécu difficile et répressif, doivent donc porter une attention des plus vigilantes à cette réaction fréquente mais bien naturelle de compensation de leurs propres carences.

Un dernier facteur réside finalement dans le temps que doivent consacrer les parents au travail. Occupés à outrance à ¨joindre les deux bouts¨ ou investis à fond dans leur plan de carrière, objectif louable et légitime, ils deviennent acculés à satisfaire la totalité des besoins de l’enfant qui, dans ce laxisme, ne peut parvenir à la distinction entre ces derniers et les caprices. Compensant également de la sorte leur absence et achetant par le fait même la paix, ils remettent leur pouvoir éducatif entre les mains de leur progéniture. Une telle situation devient encore plus marquée lors de l’entrée à l’école de l’enfant. Ce dernier quitte la classe pour la garderie où les parents le cueillent tard en fin de journée ou tôt en début de soirée, pour ensuite passer vitement au repas et tout aussi rapidement aux travaux scolaires, pour terminer à la même vitesse avec le bain avant le coucher. Pour l’éducation, faudra repasser…, peut-être en fin de semaine après les courses, le nettoyage de la maison, les activités sportives des enfants et la préparation de la prochaine semaine.

Gilbert Richer Psychologue
Avril 2004


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