Gilbert Richer - Psychologue
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Dossier : L'enfant roi
Éléments d’interventions

Toute intervention auprès d’un enfant roi dominateur, peu en importe la nature, l’intensité et le milieu d’application, doit tenir compte d’un problème incontournable, et il est de taille : tout changement visant sa maturation le conduit invariablement à la frustration, contrairement à l’épanouissement personnel pour un enfant victime de répression et affichant lui aussi une problématique de comportement. L’explication réside dans les origines radicalement opposées de la déviance chez chacun.

L'enfant victime de répression éducative se présente aux portes de la puberté et de l’adolescence avec une tendance marquée et parfois pathologique à la culpabilité, l’anxiété et l’angoisse, ainsi qu’à l’inhibition sévère de sa véritable personnalité. L’analyse clinique de leur dynamique met également en lumière la présence d’une image et d’une estime de soi gravement détériorées, tous les résultats d’une destruction systématique et parfois minutieuse de leur personnalité, tributaire d’un abus de pouvoir parental sur leur personne depuis leur tendre enfance. Leurs difficultés de comportements s’expliquent par la présence d’une impulsivité liée à leur révolte contre cette répression, révolte généralisée la plupart du temps à l’ensemble des figures d’autorité, comme dans la délinquance par exemple, et à la peur acquise du contrôle et de la domination de la part d’autrui.

Les interventions auprès de ces enfants les libèrent des toxines affectives qui étouffent leur épanouissement personnel. Ils récupèrent ainsi leur liberté d’être et réalisent l’apprentissage éventuel du contrôle de soi et de l’inutilité de leur impulsivité au fur et à mesure de l’élimination de leurs tendances excessives à l’anxiété, l’angoisse et la culpabilité, et des peurs paralysantes qui leur cachent la vie. Reprenant de la sorte le sentier du développement de leur identité, ils apprennent à faire confiance et à s’exprimer de nouveau, accédant de ce fait à une compétence éventuelle dans l’intimité. Les changements induits chez ce type d’enfants, nonobstant le temps requis pour leur atteinte, génèrent donc une sérénité grandissante en même temps qu’une purification de leur morale par la mise en place d’une tendance normale à la culpabilité.

Les facteurs liés aux problèmes de comportement chez l’enfant roi sont à l’opposé absolu de cette dynamique. La culpabilité, le remords, l’anxiété et l’angoisse sont totalement absents, en même temps que brille par son absence toute inhibition de l’expression et de l’affirmation de soi, au point où l‘agression fait habituellement partie de son répertoire normal de comportements, tel que nous l'avons vu précédemment. Comme la peur est également absente de sa dynamique affective et que l’impulsivité l’accompagne depuis l’enfance, particulièrement depuis sa fixation au stade impulsif où il continue de séjourner, il recherche le contrôle et la domination par le plaisir pur que ces conduites lui procurent et non par la peur d'être à nouveau contrôlé et dominé, tel qu’il en est le cas chez l’enfant victime de répression. L’image et l’estime de soi atteignent des proportions narcissiques et toute morale, si infime soit-elle et qui pourrait freiner leur appétit pour le plaisir et la satisfaction de leurs désirs, demeure d’une totale inefficacité.

Au lieu de bénéficier des interventions épanouissantes au plan éducatif, l’enfant roi en subit donc la frustration : dorénavant privé de son plaisir, il doit reconnaître (processus faisant appel à la logique) et accepter (processus lié à l’affectivité) qu’une vie nourrie par l’hédonisme est contraire à ce que peuvent requérir le véritable épanouissement personnel et tout fonctionnement social axé sur le respect d’autrui. Il doit ainsi parvenir à la conviction profonde que la répression de sa tendance compulsive au plaisir permet la maturation de la personnalité. Mais il y a un hic majeur à la réalisation de ce processus : comment concevoir comme mal ce qui plaît si intensément? Pétri de narcissisme et parfois vide de toute morale, l’enfant roi n’a pas accès à la culpabilité et à l’anxiété, deux affects essentiels pour assurer le succès de ce processus, et il s'agit là de la raison principale de l'échec de toute action corrective de leurs difficultés. Toute intervention auprès de l’enfant roi dominateur est ainsi privée de ces deux outils essentiels et nécessaires aux parents ainsi qu'aux éducateurs dans le succès de leurs objectifs de rééducation.

Les professionnels intervenant auprès d’enfants aux difficultés de comportements doivent donc au préalable prévoir une analyse des facteurs étiologiques, afin de préciser à qui l’on s’adresse : a-t-on affaire à des difficultés inhérentes au développement d’un enfant roi ou à celles d’un enfant victime de répression? La réponse permettra l’identification du contenu et de la structure d’intervention : l’épanouissement par la récupération de la liberté et du pouvoir d’être chez ce dernier ou le dosage approprié de la répression que devra tout d’abord subir le premier, condition incontournable pour son passage de l'impulsivité à l'autoprotection et dont l'importance a été démontrée dans le premier article portant sur ce dossier(¨La fixation du développement¨).

Si toute intervention auprès d’un enfant aux prises avec des problèmes de comportement peut nécessiter sans aucun doute une forme minimale de répression, comme l’arrêt d’agir par exemple ou l'octroi de conséquences découlant de la déviance de sa conduite, la structure psychologique de l’enfant roi nécessite une plus grande fermeté, n’en déplaise malheureusement aux tenants du ¨dialogue permanent¨ avec l’enfant, dont je fais partie. Si un tel dialogue a bien sûr l’effet principal de l’émergence chez l’enfant de la sensation d’être l’objet d’un respect absolu de la part de l’adulte, il n’a par contre aucun effet sur l’enfant roi et la raison en est fort simple : cet enfant possède une conscience de soi déficiente et son égocentrisme ne lui permet pas la considération d'un autre raisonnement que le sien. En outre, l'absence de toute tendance à l'anxiété et à la culpabilité annule toute efficacité de la morale de sorte que le discours ¨moral¨ ne reçoit jamais d’écho. L’adulte est plutôt perçu comme un moraliste emmerdant dont l’enfant, maintenant plus âgé, aura vite réduit le temps du discours soporifique en feignant la compréhension et la reconnaissance de la justesse de ses propos.

Toute action corrective des problèmes de comportement arborés par un enfant roi se réduit donc à la mise en place d’une structure devant « forçer » son passage du stade de l’impulsivité, dans lequel il est enfoncé, au stade de l’autoprotection et ce, peu importe son âge chronologique. Comme il faut donc intervenir en fonction de l'âge affectif et non en fonction de l'âge chronologique, il devient facile ici de considérer la dimension dramatique que peut revêtir sa rééducation. C’est pourquoi l’impulsivité de l’enfant roi dominateur doit être littéralement brisée par l’impact sur sa personne des conséquences de ses propres comportements, seule possibilité qui saura paver la voie à son évolution vers les autres étapes requises par la maturation de sa personnalité.

Les parents qui identifient la présence d’une problématique d'enfant roi alors que leur progéniture n’est âgé que de 5 ou 6 ans doivent précéder au plus tôt à cette mise en place d'un cadre répressif de l'impulsivité. Il en va tout autrement cependant si leur enfant traverse actuellement la puberté; ils deviennent réduits pour ainsi dire à espérer que la vie se charge elle-même et au plus tôt de l’élimination de cette conduite organisée autour de l’impulsivité, la facilité et le plaisir. C’est d’ailleurs ce qui se produit dans la majorité des cas, quoique parfois aucune conséquence, si intense soit-elle, ne saura y parvenir tellement la rigidité de ce fonctionnement peut devenir absolue. Quand on pense que le placement en centre d'accueil et même l'incarcération ne possèdent peu ou pas d'impact sur cette structure de personnalité, on ne doit pas prendre à la légère le défi que pose la rééducation d'un enfant roi dominateur.

Je supporte actuellement un père dont le garçon âgé de 15 ans est le parfait exemple des difficultés qui attendent au détour les parents aux attitudes laxistes. Les interventions éducatives mais trop tardives des parents conduisent actuellement le père à des luttes physiques avec son enfant, situation rendue nécessaire semble-t-il pour maintenir l’obligation d’un respect minimal de la dynamique familiale et des règles de fonctionnement chez le jeune. De l'absence de tout cadre et de structure durant le développement, ce père est maintenant réduit à une action physique auprès d’un corps de 15 ans et c'est parfois réduit à un coup de poing en pleine figure qu'il tente de stopper l'agression physique de son fils sur sa personne. Cet enfant roi possède déjà un casier judiciaire bien garni en vertu de nombreux vols et recels; déjà bien connu des policiers, c’est parfois en arborant un large sourire qu’il entre à la maison à des heures indues avec son butin en main, bien encadré par les forces de l'ordre.

Les parents ne doivent aucunement craindre l’imposition d’un cadre aux contours davantage serrés, voire rigides. Un excès de répression temporaire ne compromet nullement le développement de l’enfant; au contraire, un tel cadre a pour effet de le sécuriser et d'induire l’apprentissage obligatoire et essentiel pour l'équilibre de la peur des conséquences de certains comportements. J’ai d'ailleurs connu de nombreux adultes qui, en cours de processus thérapeutique et au fur et à mesure de leurs prises de conscience quant aux origines de leurs difficultés, reprochaient à leurs parents ce laxisme dont ils souffrent encore des conséquences. Il s'agit dans ce cas, vous l'aurez deviné, d'enfants rois anxieux.

Cette rigidité du cadre éducatif doit être impérativement maintenu dès qu'un changement de conduite apparaît; la raison tient au fait de la manipulation de ce type d'enfant et de sa tendance à se protéger ¨temporairement¨ des conséquences de ses comportements. En outre, plus l'enfant a dépassé l'âge de 4 ans, plus la période d'application du resserrement éducatif sera nécessairement longue; en d'autres termes, il existe une relation directement proportionnelle entre le retard accumulé depuis l'âge de 4 ans, d'une part, et d'autre part le temps requis pour le maintien du resserrement éducatif. La raison tient au fait que plus le temps avance, plus les caractéristiques dysfonctionelles de l'enfant roi prennent de l'ampleur et tendent à se crystalliser aux commandes de sa personnalité. Plus la rigidité est installée, plus le ¨marteau pilon¨ du cadre éducatif devra travailler à la fissurer.

Une fois qu'apparaissent les changements attendus et que le cadre a été maintenu au-delà de ces changements afin de contrer la manipulation et de permettre aux peurs des conséquences de coller à la personnalité et de conserver leur emprise permanente sur l'impulsivité, la troisième phase doit maintenant permettre le relâchement graduel du cadre afin de vérifier le degré ainsi que la qualité des mécanismes d’autocontrôle assimilés, processus essentiel à l'enclenchement du retour aux étapes de développement de la maturité et de la socialisation.

En général, il devient pratiquement impossible d’éliminer la déviance de la conduite de l’enfant roi dès son passage à la puberté et la raison en est fort simple : il s’agit d’une période de la vie où l’impulsivité connaît sa seconde phase d’amplification après la phase du 2 à 4 ans et le développement accéléré du corps ainsi que de la force physique qui l’accompagne deviennent de puissants alliés qui viennent non seulement soutenir la désorganisation mais également cimenter ce fonctionnement axé exclusivement sur l'impulsivité, le plaisir, la facilité et la satisfaction primaire des désirs. Tout retard à forcer le passage de l’impulsivité à l’autoprotection débouche donc et invariablement sur une puberté davantage difficile qu’à l’habituelle; des parents qui corrigent ainsi leur action éducative alors que leur enfant est âgé de 8 ans connaîtront malgré tout une puberté de beaucoup plus difficile que si de tels correctifs éducatifs sont apportés alors que leur enfant est âgé de seulement 6 ans, par exemple. Plus les interventions éducatives sont tardives, plus la probabilité de leur échec se rapproche de la certitude.

Au niveau des interventions de nature institutionnelle, les milieux pénitentiaires et rééducatifs bénéficient assurément de structures et de personnels compétents pour contrer les problèmes de comportements et induire des changements motivés à tout le moins par la peur des conséquences d'une nouvelle errance de la conduite, que cette dernière caractérise l'enfant, l'adolescent ou l'adulte rois. Il importe toutefois de souligner l'absence trop fréquente de cette distinction pourtant essentielle entre la problématique des enfants rois et celle des victimes de la répression éducative, tant ici au Québec qu'en France d'ailleurs, où des magistrats assistant à une de mes conférences à l'Université de Bordeaux sur l'anatomie de la délinquance confirmaient ne pas du tout tenir compte de cette distinction pour la simple raison qu'elle leur est inconnue. La répression, appliquée à tout vent et à toutes sauces sous prétexte d'induire la tranquillité sociale et le respect d'autrui nourrit alors une confusion malheureuse entre le conformisme et la soumission, renforçant l'interdiction de l'individualité et l’inhibition de soi, la méfiance et parfois la révolte chez les personnes victimes de répression depuis leur enfance.

En agissant de la sorte auprès d'eux, l'on applique de façon structurée une intervention dont la nature même est à l'origine de leurs difficultés : l'on réprime des enfants en fonction de difficultés elles-mêmes issues d'un abus répressif. Par contre, ce type d'intervention véhicule une probabilité élevée de succès pour l'enfant roi, compte tenu de ses conséquences probables et souhaitées sur le passage de l'impulsivité aux stades de l'autoprotection puis du conformisme. Dans un tel succès, il ne restera à l'enfant, l'adolescent ou l'adulte qu'à poursuivre sa croissance vers les stades ultérieurs de maturation conduisant à la conscience de soi et à l'intégrité.

Quant au milieu scolaire, il n'est nullement armé pour « briser » cette rigidité de l’enfant roi, ce qui n’est d’ailleurs pas son mandat. Il est plutôt acculé à sa tolérance intramurale ou à son placement dans des voies d’évitement en attendant le plus souvent son abandon scolaire, au grand soulagement d'un corps enseignant qui, de plus en plus épuisé, trouve un réconfort factice dans une consommation grandissante d'antidépresseurs ou un soulagement temporaire dans un congé de maladie. Qu’à cela ne tienne, toute intervention auprès d’un enfant roi doit générer un déplaisir tel que c’est le degré insupportable des conséquences qui assurera maintenant son passage jusque-là retardé de l’impulsivité à l’autoprotection, puis son évolution vers les stades ultérieurs de la maturation, du moins pour certains d’entre eux.

Gilbert Richer Psychologue
Avril 2004




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