Gilbert Richer - Psychologue
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La trilogie de l'angoisse

Ce que l'on subit à l'âge adulte
correspond à ce que l'on autorise


     L’examen détaillé du symptôme de l’angoisse permet des révélations pour le moins étonnantes, mais qui contribuent de près à sa résolution définitive. Contrairement à la médecine, dont l’intervention se réduit le plus souvent à l’application d’un cataplasme sur une plaie affective non aseptisée, une analyse clinique en profondeur permet l'identification du rôle direct de la culpabilité et de l’agressivité dans son émergence puis dans son maintien. Le présent article s’adresse tant aux personnes qui souffrent de cette affection qu’aux cliniciens oeuvrant auprès de ceux et celles qui tentent par tous les moyens de ¨respirer la vie¨. Afin de bien saisir le sens de l'utilisation faite ici de la notion d'agressivité ainsi que des pulsions vitales qu'elle recèle, le lecteur aurait tout intérêt à consulter l'article portant sur la notion de pouvoir (¨Le développement du pouvoir¨).

     Il est faux de croire que la présence d’angoisse répond à une quelconque dysfonction de certains neurotransmetteurs. En fait, cette affection définit une dysfonction de la gestion de sa vie, parce qu'elle reflète la présence du refoulement de l’énergie vitale que recèle l’agressivité sous l’action directe des peurs acquises tout au long du développement et qui nourrissent la crainte d'être véritablement soi. Considérons le premier exemple suivant.

     Une jeune fille de 20 ans me consulte pour des problèmes majeurs d’angoisse. Soumise à une consommation massive d’anxiolytiques et soutenue par les ¨pompes respiratoires ¨ dont elle se sert au besoin, c’est de peine et de misère qu’elle parvient à respirer adéquatement. Enfant unique, elle évolue dans une famille dont la dysfonction est assurée par un père fortement dominant et par une mère dépressive, totalement soumise à son conjoint et aux prises, comme il fallait s’y attendre, avec une consommation massive d’antidépresseurs et de somnifères.

     Le couple se sépare alors que ma patiente est âgée de 7 ans. Le père, qui désire maintenant s’engager dans une vie commune avec sa maîtresse, interdit formellement et agressivement à sa conjointe de faire quelque démarche que ce soit pour l’obtention de la garde de leur enfant, ce à quoi elle se soumet sans mots dire. Ma patiente, qui ne désire nullement quitter sa mère avec qui elle se sent davantage en sécurité, demeure cependant paralysée par la peur de réactions colériques chez son père; c'est donc en réprimant toute affirmation de son besoin véritable qu'elle quitte la demeure familiale pour emménager avec son père.

     Alors qu’elle est maintenant âgée de 12 ans, une crise majeure d’angoisse survient en pleine nuit. Les symptômes sont sévères au point où ils nécessitent son transport d’urgence par ambulance. Reçue immédiatement en psychiatrie pour les soins requis par son état, c’est bien équipée d’ordonnances qu’elle reçoit son congé quelques jours plus tard. Or, vers l’âge de 15 ans, tout bascule.

     Une problématique de consommation de psychotropes, qui a vu le jour dès son accession à la puberté, la conduit à se joindre à un groupe de délinquants fort actifs dans le commerce des drogues illicites. Bien intégrée au groupe, elle participe éventuellement à la collecte du produit des ventes de la drogue de sorte que c’est rapidement qu’elle arbore des comportements d'agression, allant même jusqu’à molester les clients retardataires dans leurs paiements. Or, cet épisode délinquant, qui se prolonge jusqu’à l’âge de 19 ans et durant lequel elle a bien évidemment quitté la demeure de son père, révèle que non seulement aucune crise d’angoisse ou d’asthme ne voit le jour mais que de plus, toute consommation de médicaments a cessé.

     Épargnée par miracle alors que la bande de jeunes est écrouée, elle rentre au bercail et son père, dans sa ¨bienveillance¨, accepte de reprendre sa brebis égarée. Six mois après son retour, une nouvelle crise d’angoisse émerge en pleine nuit pour nécessiter à nouveau son transport d’urgence à l’hôpital par ambulance, puis son retour à la consommation de médicaments.

     Ainsi donc, comment expliquer l'absence complète de crises d’angoisse ou d’asthme et de toute consommation de médicaments durant cet intermède délinquant de 4 ans? Et comment dans un second temps expliquer la réémergence de cette affection lors de son retour au domicile paternel? La réponse est des plus simples : sa délinquance a simplement permis un exutoire à sa colère, éliminant du même coup tout ce que cette jeune fille pouvait à la fois retenir et subir sous le despotisme de son père. L’agressivité et les pulsions vitales qu’elle recèle, connaissaient enfin leur exutoire et c'est ainsi qu'elle expurgeait sa vie affective des affects sous lesquels elle étouffait.

     Si ce premier exemple vous permet de saisir la contribution de la peur de l'agression dans la répression à long terme de l'énergie vitale de l'agressivité et dans l'apparition conséquente de l'angoisse, une seconde situation, davantage complexe dans sa dynamique, met en lumière l'action de la culpabilité dans la production d’angoisse, en vertu de son action identique de répression des mêmes pulsions vitales que recèle l'agressivité. Il s’agit d’une dame âgée de 37 ans et qui vit seule depuis 3 mois suite à une ¨ huitième¨ rupture de couple en dix ans. Aux prises avec de sévères symptômes d’angoisse, elle est bien évidemment, elle aussi, soumise à une médication massive d’anxiolytiques.

     Les données cliniques révèlent une détérioration marquée de l’humeur. Profondément dépressive et aux prises avec des périodes d'idéation suicidaire depuis la fin de son adolescence, la tristesse domine et jamais ne parvient-elle à l'élimination des pleurs constants qui l'assaillent. J’observe une grande nervosité que traduit un corps agité ainsi que la présence d’un sourire constant mais la plupart du temps inapproprié; j'en déduis qu'ils servent fort probablement à camoufler ses pleurs, compte tenu que les muscles qui servent au sourire et au rire sont les mêmes qui servent aux pleurs.

     L’examen de ses différents partenaires de couple souligne la présence d’une totale dépendance affective, à l'intérieur de laquelle elle oeuvre sans cesse à devenir l'objet d'une attention minimale. Ses conjoints affichent en effet et le plus souvent une problématique de consommation toxicomane et alcoolique; insensibles à ses besoins d'affection et de tendresse, leur froideur affective la conduit à la production d’efforts constants pour quelques miettes d’affection. Elle exprimera d’ailleurs, en ce qui concerne son engagement dans le domaine de l’intimité, qu’elle a l’habitude de prendre ¨ce qu’on me donne¨ et que sa hantise demeure la peur de blesser l’autre et de devenir ainsi envahie par la culpabilité.

     Au plan des réactions physiques, madame étale une importante hypoglycémie, soulignant en cela la présence d’un stress négatif intense depuis des décennies. Le sommeil est difficile, entrecoupé ici et là de longues périodes d’éveil. L’examen de la fonction d’élimination souligne une tendance marquée à la diarrhée, dont la présence, normale en situation d’hypoglycémie et de stress intense, suggère une problématique importante de liquidation de l'agressivité. Elle est également aux prises avec des démangeaisons constantes aux jambes ainsi qu’aux mains qui, assez fréquemment, traduisent la présence de psoriasis et d’une irruption de petits nodules. L’image qui m’habite alors est que tout ce que cette femme subit lui sort littéralement par la peau.

     L’examen des relations résiduelles entretenues avec sa famille d’origine révèle finalement les origines de son angoisse, tel qu'il en est fréquemment le cas dans ce type d'affection. Madame possède un frère et une sœur, tous deux plus âgés qu’elle et qui souffrent d’un type particulier mais grave d’épilepsie, transmis génétiquement par la mère et qui les rend inaptes au travail. Depuis qu’elle est âgée de 7 ans, le père, dans le délestage de ses responsabilités, lui a confié avec autorité la pleine charge de s’occuper d’eux, ce à quoi elle s’est immédiatement soumise dans l’objectif de se sentir aimée. Cette charge était absolue au point où lorsqu’elle revenait à la maison avec eux, elle était immédiatement punie par un isolement de plusieurs heures dans sa chambre s’il advenait que son frère ou sa sœur étaient en pleurs. D’ailleurs, la lourdeur de cette responsabilité fut révélée par un lapsus de sa part : ¨Je n’avais pas le choix de m’occuper de mes enfants!¨

     Lorsque j’ai rencontré cette patiente, elle assumait encore la pleine et entière responsabilité de son frère et de sa sœur, responsabilité dont l'intensité augmentait à chaque automne alors que ses parents quittaient pour les Îles du Sud. Jamais les appels téléphoniques hebdomadaires ne visaient à s’enquérir de son bien-être personnel, mais bien de ceux de son frère et de sa sœur. De plus, durant cette absence annuelle et récurrente de ses parents, c’était bien évidemment ma patiente qui avait reçu l’ordre de s’occuper de tout le contenu de leur courrier.

     Décrivant son père comme un ¨monsieur sévère¨, expression qui étale la froideur ainsi que la distance affective avec cette figure parentale, elle soulignera qu’elle a toujours agi de façon à se sentir aimée de lui. Ces données cliniques permettent de voir ici que ses relations de couple ont toujours été calquées sur ce modèle de la relation avec son père : des gens froids, inaccessibles et auprès de qui beaucoup d’efforts et d’abnégation étaient requis pour sentir une quelconque valeur à leurs yeux. Ce qu’elle subissait dans la relation avec son père se poursuivait donc dans ses relations de couple, en vertu d'une estime de soi détériorée et nourricière d'une tendance autopunitive.

     Une fois l’entente diagnostique réalisée, étape importante dans toute intervention clinique, c’est avec une détermination sans faille que madame, saturée de sa souffrance, amorce ses changements. Elle avise donc ses parents que le bien-être de son frère et de sa sœur n'est maintenant plus de son ressort, qu’elle a décidé de façon urgente de s’occuper de sa vie personnelle et qu’ils devront maintenant assumer leurs propres responsabilités. Elle affronte de la sorte la peur morbide de ne plus être aimée par son père et de devenir orpheline, ainsi que l’intense culpabilité liée à la crainte de blesser ceux qu'elle aime malgré tout. Madame prenait ainsi conscience que sa tendance à la culpabilité ainsi que son besoin infantile d'être aimée par son père la retenaient prisonnière depuis des décennies d'une dynamique toxique et qu'il s'agissait là de la source prédominante de son angoisse : elle étouffait sous le maintien de sa décision d'assumer une responsabilité qui ne lui appartenait pas et qui avait été dictée à la fois par sa tendance à la culpabilité ainsi que par ses besoins de reconnaissance et d'amour.

     Après 6 mois de cheminement intense, cette patiente avait recouvré sa liberté d'être et une joie de vivre à laquelle elle ne croyait plus. Tous ses problèmes de santé physique avaient disparu, notamment le psoriasis ainsi que ses irruptions cutanées; en outre, elle était parvenue à surmonter son hypoglycémie, stabilisant d’autant son humeur. Les pleurs étaient également disparus et elle évoluait maintenant en relation de couple avec un partenaire de qualité, relation à l’intérieur de laquelle elle avait recouvré son potentiel d'expression et d'affirmation de soi et ce, libéré de toute crainte de rejet ou de culpabilité. Finalement, elle ne consommait plus aucune médication.

Conclusion
     Si le premier exemple vous a permis de comprendre que l’angoisse peut parfois être le résultat de la répression de l’agressivité sous l’action de la peur d’une décharge d’agression à son endroit, le second met davantage en évidence la contribution de la culpabilité sur la répression des pulsions vitales, privant dès lors la personne de toute possibilité d'expression et d'affirmation de soi, ainsi que de tout accès à l'autodétermination. Tout se passe donc comme si l’angoisse définissait un état d'être essentiellement défini par une sensation d'étouffement, résultat à la fois d’une situation subie, d’une part, et d’autre part l’agressivité réprimée, sous forme de colère ou de rébellion. En d’autres termes, l’angoisse définit un état de la relation avec soi qui se situe à mi-chemin entre la répression de ses forces vitales, d’une part, et d’autre part ce que cette même répression conduit à subir : la personne souffre d'angoisse parce qu'elle est littéralement ¨coincée¨ entre la répression de ses forces vitales et ce que cette dernière lui permet de subir.

     Tout cheminement visant l’élimination d’angoisse se résume donc à une décision de confrontation avec la peur et la culpabilité qui risquent d’émerger en soi lorsque le respect des pulsions vitales s'impose. Dans les deux situations cliniques retenues ici, vous aurez noté que l'angoisse dont souffrent ces deux personnes découle directement de relations éminemment toxiques entretenues avec leurs familles d'origine. Bien évidemment, si tous les cas d'angoisse ne sont pas liés au maintien de telles relations, il importe toutefois de retenir que la majorité sinon la totalité des patients en cheminement maintiennent pour la plupart des relations de nature toxique avec les membres de leur famille d'origine, particulièrement en ce qui concerne les figures parentales, et deviennent invariablement confrontés à leur modification, sous peine d'interdire tout accès au bien-être de la sérénité. Peu importe la nature des relations dont il puisse s'agir, la règle générale veut cependant que tout ce qui est subi et qui porte atteinte à la liberté d'être est générateur d'angoisse.

     Dans un second temps, il faut retenir ceci des relations entre l'angoisse, la culpabilité et l'agressivité : le refus de toute confrontation avec la culpabilité contient un prix permanent, celui de l'angoisse, liée à la répression de ses pulsions vitales, alors que la libération de ces dernières ainsi que le retour conséquent au pouvoir d'être soi comporte un prix qui lui, est temporaire, nommément celui de la culpabilité.

     Au plan théorique, il est donc possible de conclure ce qui suit en ce qui a trait aux relations psychodynamiques qu'entretiennent l'angoisse, l'agessivité et la culpabilité. Dans un premier temps, l'angoisse est le produit du refoulement des pulsions vitales que recèle l'agressivité; ce refoulement, qui prend le plus souvent racine dans la répression éducative, est généré par la peur des affects liés à une décharge d'agression à son endroit et à l'émergence de la culpabilité.

     Dans un second temps, c'est l'affrontement de ces mêmes affects liés à la peur de l'agression et de la culpabilité qui permet la libération des pulsions vitales et la sortie conséquente de l'angoisse. Le résultat devient la récupération de son pouvoir et de sa liberté d'être, ainsi que le développement du pouvoir d'agir sur soi par l'intermédiaire de l'accession à l'autodétermination.

     Mon message est donc le suivant. Si vous souffrez d'angoisse, c'est que vous réprimez votre pouvoir d'être. Vous piétinez qui vous êtes véritablement et vous êtes dirigés par des peurs qui gèrent votre conduite : vous n'avez pas d'emprise sur votre vie et vous êtes privés du pouvoir d'agir sur vous-mêmes.

     Votre conduite est axée sur l'évitement de la culpabilité plutôt que sur le respect de vos besoins : vous agissez dans le but de ne pas ressentir la culpabilité, plutôt que d'agir dans le respect de ce que vous ressentez. Je vous dis donc que vous vivez littéralement à l'envers, à l'inverse de ce que réclame le sens dela vie et l'accession à la sérénité. C'est de la sorte que vous réprimez toute votre énergie vitale que recèle votre agressivité et que vous étouffez sous elle, ainsi que sous le pouvoir des personnes et des situations que vous autorisez.

     Ne vous contentez pas d'une médication anxyiolitique. Si tel devait être votre cas, cette décision aurait pour effet de vous permettre de maintenir en place le scénario de négation de votre personne. En agissant de la sorte, vous prolongez votre ¨maladie¨, c'est-à-dire que vous vous assurez de ne jamais être vous-même. Ne croyez que l'angoisse soit une maladie. En fait, elle est une information disponible à votre conscience, à l'effet que la façon avec laquelle vous vous gérez est déficiente et vous maintient dans une façon d'être qui vous soumet au pouvoir des autres.

     Rappelez-vous que changer, se résumera toujours à ressentir ce dont vous craignez la présence. Tel est le prix de la liberté d'être.


Gilbert Richer Psychologue
Décembre 2004






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