Gilbert Richer - Psychologue
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Dossier : la dépendance affective.
Les 6 caractéristiques psychodynamiques de la dépendance affective.

     Dans le premier article sur le sujet (Origines et définition de la dépendance affective), nous avons vu que la dépendance affective définit une perturbation de la relation avec soi qui s’enracine dans la fuite de sa vie affective et que c’est la crainte d’entrer en relation avec les sensations générées par les peurs acquises tout au long du développement qui est responsable de la construction de tout ce processus. Ce second article vise à vous présenter les 6 caractéristiques psychodynamiques découlant de l’émergence de cette perturbation de la relation avec soi.

     Il est important de préciser tout d’abord que l’analyse de ces caractéristiques permet de saisir non seulement la façon avec laquelle le dépendant affectif gère son énergie vitale (l’agressivité), mais également les types de conduite qui verront le jour à l’âge adulte. Ces caractéristiques nous livrent donc l’essentiel de la structure dynamique qui sous-tend toutes les variations comportementales que peut revêtir la dépendance affective.


1) Processus décisionnel soutenu par la peur de ressentir

     En déterminant sa conduite sur celle de l’autre, le dépendant affectif poursuit l’objectif de s’éloigner graduellement de toute relation potentielle avec des sensations intérieures dont il éprouve de plus en plus de difficultés à supporter la présence. Sa vie se déroule donc totalement à l’inverse de ce que commande l’atteinte de l’identité et de la sérénité : d’une conduite respectueuse du contenu de ce qui est ressenti dès la naissance, son développement nourrit maintenant une façon d’être et de se comporter visant dorénavant à se tenir le plus éloigné possible de ses affects, affectant tout le processus décisionnel ainsi que l’efficacité de sa conscience.

     À l’origine, et durant les premières années d’existence, l’observation de la conduite l’enfant permet en effet de conclure que c’est le contenu de sa vie intérieure qui en dicte l’orientation. Confondant parfaitement besoins, désirs, caprices et pulsions, tous ses comportements traduisent la satisfaction immédiate de ce qui est ressenti et c’est sans limite qu’il donne suite à tout ce qui émerge en lui. Il exerce de la sorte et pleinement sa liberté et son pouvoir d’être.

     Par contre, au fur et à mesure d’une croissance perturbée par la dysfonction familiale, sa vie affective devient meublée par des sensations dont la présence devient intolérable au point où la négation de sa personne, accompagnée parfois d’autres mécanismes de fuite, lui permet maintenant d’atténuer au maximum la présence potentielle de ces sensations, telles le rejet, l’abandon, le jugement, le ridicule, etc. Ces comportements d’adaptation, qualifiés de survie, tel que nous l’avons vu, entraînent malheureusement une parfaite inversion des conditions prévues par la nature pour l’accession à une autogestion et à une autodétermination de qualité, puisque le développement de l’enfant bifurque pour favoriser dorénavant une dynamique axée sur les réactions affectives de ses parents. Et c’est précisément la généralisation de cette inversion de la dynamique de départ de l’affectivité qui, ultérieurement, définira le cœur du fonctionnement du dépendant affectif.

     Il faut donc retenir que c’est la peur de ressentir qui génère la négation de soi et c’est pourquoi elle doit être considérée comme la première caractéristique de la dépendance affective. C’est à partir d’elle, d’ailleurs, que prendront place les cinq autres caractéristiques qui ne verront toutefois pleinement le jour qu’au tournant de l’âge adulte. Plus précisément, c’est le maintien de la peur de ressentir aux commandes de la personnalité qui sera responsable de l’émergence graduelle des autres caractéristiques suivantes de la vie affective du dépendant affectif, au fur et à mesure de sa sortie de l’enfance.

2) Gestion infantile des affects et de l’expression émotive

     J’utilise le mot « infantile » pour la description de cette seconde caractéristique afin de mettre en évidence la connotation négative et perturbée de la gestion de l’affectivité chez le dépendant affectif. En effet, parvenu à l’âge adulte, il affiche maintenant un comportement entièrement calqué sur celui qui définissait sa conduite dans l’enfance.

     Il faut tout d’abord retenir que la vie affective comporte deux volets : ce qui est ressenti, les affects, et ce qui est exprimé, les émotions. Dans l’enfance, il existe une parfaite correspondance entre ce qui est ressenti et ce qui est exprimé : ce qui est exprimé traduit parfaitement à ce qui est ressenti. Mais lorsque la dysfonction familiale vient briser cette harmonie psychodynamique, ce qui est ressenti devient alors réprimé, maintenu à l’intérieur de soi, pendant que ce qui est exprimé vise l’objectif d’atténuer, sinon d’éliminer la présence d’affects insupportables risquant de générer de la peur, de la souffrance. L’enfant qui n’ose plus exprimer sa véritable pensée ou ses véritables affects par crainte de subir l’agression verbale ou physique d’un parent en est un exemple : il agit de façon à taire l’expression de sa personne par crainte de subir l’envahissement de sensations de crainte et de douleur que pourraient provoquer l’agression parentale. En taisant l’expression de ce qu’il ressent et, plus tard, de ce qu’il pense, il inverse les conditions initiales de sa naissance : le pouvoir et la liberté d’être s’estompent pour laisser place à la peur d’être soi puis à une négation de soi qui aura tôt fait de diluer sa véritable personnalité.

     En retenant que le dépendant affectif a maintenu une conduite nourrie par la peur de ressentir à l’aube de sa vie adulte, la « gestion infantile des affects et de l’expression émotive » devient la seconde caractéristique psychodynamique de la dépendance affective parce que la personne maintient une façon de gérer ce qu’elle ressent et ce qu’elle exprime identique à celle qui a été érigée durant sa croissance. En d’autres mots, les comportements de survie développés dans l’enfance et qui servaient de rempart de protection contre la peur et contre la douleur générée par la dysfonction familiale ont été maintenus dans la gestion de la vie affective à l’âge adulte. Pour cette raison, le dépendant affectif est un enfant dans un cops adulte et présente donc un décalage qui va grandissant avec sa maturation chronologique, compte tenu que la façon infantile avec laquelle il poursuit la gestion de sa vie affective s’éloigne de plus en plus de celle avec laquelle il devrait normalement le faire.


3) Relations parentales avec autrui

     Cette 3e caractéristique découle bien sûr de la précédente. Lorsque le dépendant affectif maintient à l’âge adulte des comportements de survie développés dans l’enfance, non seulement gère-t-il son affectivité de façon infantile mais les autres sont maintenant considérés comme des « parents » potentiels de qui il attend la même nourriture affective ou de qui il craint les mêmes réactions de nature agressive.

     Par exemple, toute personne qui, dans son enfance, a vécu des expériences d’abandon et de rejet et qui, dans ses décisions, maintient une conduite visant à se rassurer à tous les instants que jamais plus elle ne vivra à nouveau de telles sensations agit avec les autres de la même façon qu’elle le faisait avec ses parents. Cette troisième caractéristique de même que la précédente permettent ici de saisir les pleines dimensions de l’enfant dans un corps adulte chez le dépendant affectif.

     Le délinquant présente lui aussi cette caractéristique. Révolté contre toute autorité, il étale un fonctionnement identique à celui qui le caractérisait devant l’abus de pouvoir parental : la révolte. Les personnes faisant office d’autorité sont donc perçus comme des parents qui veulent le priver de sa liberté d’être et qui veulent abuser de lui, qui veulent encore commander sa conduite ; comme la colère chez le délinquant a supplanté la souffrance, c’est avec un entêtement constant qu’il s’oppose à tout ce qui lui est demandé parce qu’il confond « demande » et « commande ». Le délinquant ou le soumis sont donc toutes deux des personnes aux prises avec la dynamique de la dépendance affective puisqu’elles nourrissent le même objectif : les deux recherchent l’amour, l’approbation, la valorisation, la reconnaissance, en même temps qu’elles cherchent l’évitement de sensations douloureuses, mais avec un mode d’action opposé chez chacun : la pulsion agressive gère la conduite chez le délinquant alors que chez la personne soumise, cette pulsion est réprimée.

4) Mode d’attribution du pouvoir sur soi à autrui

     Cette 4e caractéristique signifie que le dépendant affectif a perdu tout contrôle sur la gestion de sa vie : ce sont les réactions affectives observées, anticipées ou projetées chez autrui qui dictent maintenant sa conduite. En effet, comme il craint au plus haut point de ressentir les peurs qui ont pavé sa croissance, il doit à tout prix préserver les réactions affectives d’autrui dans l’espoir de se protéger lui-même. Rappelez-vous que la dépendance affective se définit comme une perturbation de la relation avec soi, que l’objectif de tout dépendant est de se tenir le plus éloigné possible de ce qu’il serait en mesure de ressentir et que le moyen d’y parvenir est de protéger les réactions affectives d’autrui qui feraient émerger en lui ce dont il craint la présence. Ainsi, lorsque l’on définit la dépendance affective comme une façon de se comporter en fonction des autres, on confond donc l’objectif et le moyen.

     En agissant de la sorte, il accorde aux autres le plein pouvoir sur sa conduite et l’orientation de sa vie. S’il croit qu’autrui risque de réagir de telle ou de telle façon, il aura tôt fait d’ajuster sa conduite sur la réaction affective qu’il observe, anticipe ou projette, pour éviter toute relation avec les peurs qu’il a côtoyées durant son développement. Pour vous donner une idée à quel point un tel mode de fonctionnement éloigne la personne d’elle-même, applique cette règle à un autre domaine de la vie : celui de l’alimentation. Le résultat devient donc que vous vous alimentez uniquement quand les autres ont faim…. En peu de temps, vous verrez que vous ne savez plus du tout quand vous-mêmes avez faim.

     Cette attribution du pouvoir sur soi à autrui continue d’éloigner le dépendant affectif de sa propre vie intérieure de sorte qu’il n’a plus aucune idée de qui il est ni quels sont ses besoins. Il devient un parfait inconnu à ses propres yeux et s’engage rapidement dans l’un des pires scénarios de vie : subir les besoins et les désirs des autres. Il n’est donc pas surprenant que les dépendants affectifs débouchent rapidement sur des problèmes d’angoisse et sur une médication à cet effet : ils étouffent sous le pouvoir des autres et sous ce qu’ils répriment en eux, notamment leurs besoins ainsi que leur colère.

     Comme il a le plus souvent subi un abus de pouvoir parental et que sa liberté d’être a été troquée pour la négation de soi, il agira ultérieurement de façon à attribuer aux autres ce même pouvoir sur sa personne. Autrement dit, dans l’enfance, il subit un pouvoir parce qu’il était dépendant, impuissant et vulnérable, alors que parvenu à l’âge adulte, le pouvoir qu’il subit correspond maintenant à celui qu’il autorise. Cette caractéristique de la dépendance est probablement la plus dramatique puisqu’elle met en lumière la perturbation des deux pouvoirs dont la gestion est essentielle pour donner à sa vie l’orientation et le sens désirés : les pouvoirs d’être soi et d’agir sur soi (¨Le développement du pouvoir¨).

5) Conduite orientée autour de deux axes

     Nous avons vu dans le premier article sur la dépendance affective que nous sommes gouvernés par des lois universelles, dont celle de la dichotomie. Le dépendant affectif ne fait pas exception à cette règle. Nous avons vu en effet que dans sa recherche d’amour, de reconnaissance, de valorisation, d’approbation, il œuvre à éviter l’envahissement de sa vie affective par les peurs acquises. Ce sont là les deux guides exclusifs qui soutiennent l’ensemble des décisions qu’il prend à propos de lui-même.

     Vous vous direz peut-être qu’il est « normal » que nous fonctionnions tous d’une façon qui nous permette de nous sentir aimés et simultanément jamais rejetés, abandonnés, etc. Et vous aurez raison. Vous oubliez toutefois un petit détail : le dépendant affectif associe ces craintes au fait d’être véritablement lui-même. Autrement dit, il s’assure de recevoir (amour, affection, etc.) et d’éviter (rejet, abandon, jugement, etc.) en n’étant jamais lui-même, convaincu que c’est le fait d’être véritablement lui-même qui lui vaut ce traitement. Le dépendant affectif possède donc une estime et une image de soi profondément détériorées, résultat inévitable de ses carences affectives et de l’abus de pouvoir dont il a été la victime.

     La recherche d’amour, de reconnaissance, d’affection est l’autoroute des difficultés. Chercher à être aimé est toxique parce que le point de référence de la totalité des décisions devient la réaction affective des autres, non pas l’ensemble des besoins de la personne, particulièrement celui d’être véritablement soi. Ces personnes accordent alors la priorité au jugement des autres alors que l’accession à l’identité commande à l’inverse d’accorder la priorité à son propre jugement. Si la liberté chez l’enfant consiste à faire ce que bon lui semble et quand bon lui semble, elle correspond plutôt chez l’adulte à cette capacité de juger de soi-même par soi-même dans les processus d’autodétermination et d’autogestion.


6) Préparation du scénario dépressif

     Il s’agit de la sixième et dernière caractéristique de la dépendance affective. Bien que article ne vise pas l’analyse de la dynamique de la dépression, il importe néanmoins de saisir que tous les dépressifs sont aux prises avec la négation de leur personne. L’examen de leur scénario de vie démontre en effet que leur dépression correspond à la faillite de leur dynamique, c’est-à-dire qu’ils ne peuvent plus nier leur véritable personnalité et que cette façon d’être, qui perdure depuis leur enfance, génère maintenant davantage de souffrance que de bien-être, un bien-être bien relatif, il est vrai, puisqu’il se nourrit de la négation de soi.

     Étant donné que tout dépendant affectif réprime sa véritable personnalité alors que la nature a prévu la poursuite ainsi que le raffinement du pouvoir et de la liberté d’être, présents à la naissance, ce n’est qu’une question de temps que la négation de soi aboutisse à cette faillite. La souffrance du dépressif véhicule donc une information à sa conscience : l’impossibilité de la poursuite de la négation de soi héritée de l’enfance et l’urgence d’un retour dans le sentier du développement de l’identité et de la sérénité.

     En somme, cette sixième caractéristique sous-tend que la dépression n’est pas une maladie : elle est la faillite de la maladie de la négation de soi. Tout dépressif est donc une personne souffrant de dépendance affective et devenue incapable de réprimer son énergie vitale.



Gilbert Richer Psychologue
Février 2006



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