Gilbert Richer - Psychologue
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Dossier : L'enfant roi
Les principales caractéristiques de la psychologie de l'enfant roi

Quand je parle des méchants,[…], j’entends les violents, tous ceux qui s’abandonnent à leurs passions […].
La force des méchants, c’est qu’ils se croient bons et
victimes des caprices d’autrui.

Alain


Nous avons vu dans le premier article de ce dossier sur l'enfant roi que c'est l'absence de passage du stade de l'impulsivité à celui de l'autoprotection qui pave la voie à son développement. Nous avons également cerné la responsabilité première de l'autorité parentale dans la perturbation de ce processus, dans le sens où le laxisme (attitudes de trop grande permissivité, de laisser faire, de laisser aller) prive l'enfant de l'apprentissage essentiel de la condition première d'un tel passage, soit la maîtrise de cette impulsivité.

Ces affirmations ne valent toutefois que pour le profil le plus commun d'enfant roi, soit ¨l'enfant roi dominateur¨; bénéficiaire du laxisme éducatif, il est celui que l'on décrit habituellement comme le résultat d'un enfant gâté et pourri tout au long de son développement, impulsif, opposé à toute autorité, et sans aucun sens de la discipline et de l'effort. Il existe un second profil, que j'ai nommé ¨l'enfant roi anxieux¨, chez qui le laxisme éducatif provoque l'émergence de caractéristiques de fonctionnement toutes autres. Même si la présente réflexion s'adresse essentiellement à l'enfant roi dominateur, compte tenu de sa prévalence et des difficultés de taille qu'il pose aux adultes qui en ont la responsabilité éducative, il convient de s'arrêter tout d'abord à cette distinction essentielle.

La différence majeure animant ces deux types d'enfants rois provient de l’intensité de la pulsion agressive caractérisant chacun d'eux. L'enfant roi dominateur est évidemment celui qui présente l'intensité la plus forte; davantage impulsif et rebelle à l'autorité que l'autre, il exploite à son profit la totalité de tout l’espace éducatif ainsi que les largesses éducatives fournies par la trop grande permissivité des parents. Il se conduit alors comme il a envie de le faire et sans aucune restriction, au gré de ses désirs et caprices qui deviennent aisément confondus avec les besoins. À l'inverse, l'enfant roi anxieux n'affiche à peu près pas de tendances à l'impulsivité. Davantage fragile et malheureux, il affiche plutôt de fortes tendances à l’anxiété et à l'angoisse, de même qu'une insécurité parfois chronique, qui le conduisent à un important besoin vital d’encadrement.

L’enfant roi anxieux est donc celui qui souffre du laxisme. Ne pouvant s'appuyer sur aucune référence qui pourrait lui servir en quelque sorte de balises et de guide pour encadrer sa conduite et soutenir son processus décisionnel, il évolue dans une espèce de ¨vide existentiel¨; il est comme un drapeau qui dépend du vent pour déterminer la direction vers laquelle il doit flotter. Je me rappelle à cet effet une jeune étudiante âgée de 19 ans et qui désirait me rencontrer afin de modifier son plan d’études. Lui soulignant qu’il valait peut-être mieux consulter un professionnel de l’orientation, elle insiste en me soulignant son incapacité absolue à prendre une telle décision et que c’était là le motif pour lequel elle désirait me rencontrer.

Ce n’est qu’après de nombreuses rencontres cliniques qu’une phrase jaillit de sa bouche pour me permettre de comprendre ce qui n’allait pas. Rongée par l’anxiété, elle lance : ¨Depuis que je suis toute petite, je peux faire ce que je veux…. Cela ne veut pas dire que mes parents ne m’aimaient pas… cela veux dire qu’on me faisait confiance¨. Ces paroles étalaient tout le drame fatidique du laxisme éducatif dont elle avait été la victime, particulièrement le doute d’avoir été aimée qu’avait généré l’absence d’encadrement. Mes questions visant la compréhension précise de ces paroles l’ont effectivement conduite à la verbalisation de souvenirs à l’âge de 6 ans alors qu’elle suppliait en pleurs ses parents de lui signifier à quelle heure devait-elle aller simplement se coucher. Ses parents, dans une volonté manifeste de bien faire, lui répondaient régulièrement qu’elle était maintenant une grande fille et qu’elle pouvait elle-même juger de l’heure à laquelle elle devait aller se coucher. Toute son enfance avait été caractérisée par l’absence de cadres, d’une structure qui lui aurait éviter la culture d’une anxiété morbide contre laquelle elle devait dorénavant se battre, probablement pour le reste de sa vie.

Tout son processus décisionnel en était ainsi affecté de sorte qu’elle évoluait dans une dépendance affective chronique, caractérisée par une référence constante à autrui pour la prise de quelque décision que ce soit. Sans cadre éducatif, cette jeune fille était devenue incapable de distinction entre le possible, le souhaitable et le désiré. Essentiellement passive dans ses relations, l’analyse de sa personnalité indiquait en outre une absence marquée d’agressivité au point où elle subissait toute action de cette nature de la part d’autrui.

Cette ¨enfant¨, traitée comme une petite reine durant toute son enfance et sans aucune confiance en elle, en son propre jugement, croulait littéralement sous son anxiété. Sans agressivité, incapable d’affirmation de soi et de décisions, craignant au plus haut point le rejet d’autrui, elle n’avait cesse de rechercher l’amour, l’affection et la sécurité : elle cherchait auprès des autres à établir la relation de sécurité dont elle avait été privée de la part de ses parents. Contrairement à l'enfant roi dominateur qui suscite le rejet et la colère, ce profil anxieux a plutôt pour effet d’attirer la sympathie et la prise en charge.

L’enfant roi dominateur, quant à lui et tel que mentionné précédemment dans le premier article de ce dossier (¨Phases de son développement¨), se caractérise tout d’abord par l'impulsivité que lui fournit sa forte pulsion agressive. Il s'agit là de sa caractéristique dominante. Nullement contraint à quelque modification de conduite que ce soit, il demeure fixé au stade de développement de l'impulsivité, caractéristique de l'enfant âgé de 2 à 4 ans, de sorte qu'il maintient puis intensifie avec le temps les comportements de cette nature qui dominent sa vie affective depuis sa naissance. Contrairement à l'enfant roi anxieux qui subit le laxisme et dont la tendance à l'anxiété réclame un encadrement sécurisant, l'enfant roi dominateur en exploite donc toutes les failles et réclame pour sa rééducation en encadrement répressif.

nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;nbsp;Cette impulsivité demeure au service exclusif et enivrant de la facilité, du plaisir et du pouvoir sur autrui. Cette deuxième caractéristique en importance signifie que ce type d'enfant maintient une conduite alimentée par une motivation de nature infantile, c'est-à-dire une motivation analogue dans sa nature à celle qui le caractérise depuis sa naissance. Nullement capable de composer avec les frustrations et de reporter la satisfaction de ses besoins, désirs et pulsions dans le temps, il n'accède donc pas au contrôle de soi et à la discipline, deux ingrédients constitutifs de toute maturité.

Tout le développement de cette impulsivité devient grandement facilité par la déficience de sa morale. Cette autre caractéristique de sa psychologie est tributaire de l'absence de toutes conséquences appliquées sur ses comportements de nature impulsive. Tout se passe comme si le laxisme éducatif provoquait une espèce de réaction circulaire possédant sa propre énergie : l'absence de cadre éducatif devient une autorisation à la poursuite de la conduite impulsive et annule tout développement de crainte de ses conséquences, interdisant dès lors le développement de toute morale qui autorise à son tour la poursuite de l'impulsivité et de la satisfaction du plaisir. Cette absence de relations avec le domaine de la peur des conséquences devient donc le principal catalyseur de sa déviance et entraîne avec elle des conséquences dramatiques sur le développement de son équilibre personnel. Elle annule en effet toute possibilité d'accès au remords et à la culpabilité, deux affects (ce qui est ressenti) essentiels et incontournables dans l'apprentissage de la distinction entre ce qui est bien et ce qui ne l’est pas. C’est la raison pour laquelle la morale de l'enfant roi dominateur possède une structure de nature psychopathe et que toutes tentatives d'interventions visant à le sensibiliser à la déviance de sa conduite sont vouées à l'échec. Égocentrique, sans empathie et incapable de remords et d'empathie, il piétine sans ambages les besoins et la vie des autres.

Lorsqu'il se présente ainsi ¨équipé¨ aux portes de l'école et de la socialisation, c'est rapidement qu'il fera étalage de toute cette absence d'emprise sur la gestion de sa personnalité et de son opposition farouche à toute contrainte. Parfois vulgaire, il invective l’autorité en s’adjoignant l’appui des autres enfants rois de la classe ou ceux qui nourrrissent une rébellion conséquente à un abus de pouvoir parental sur leur personne. Soutenant parfois son opposition aux enseignants à l'aide de menaces d'un recours contre eux, avec l’appui occasionnel et malheureux de ses parents tout aussi inconscients que lui, il continue de nourrir une gestion narcissique et égocentrique des situations.

Les enseignants dépistent rapidement ces enfants rois qui, de plus en plus nombreux, sont responsables de l’éclatement en pleurs chez certains, d’un taux croissant d’épuisement professionnel, ainsi que d’une consommation de plus en plus élevée d’antidépresseurs et de congés de maladie. Les différentes enquêtes dans le domaine de l’éducation indiquent d’ailleurs et de façon alarmante que c’est au niveau préscolaire que le taux d’agression physique sur les enseignants a connu la plus forte hausse. La récente enquête au Québec du Journal de Montréal (¨Dossier l'enfant roi¨), publiée dans la première semaine de février 2004, révèle également la pathologie morale de ces enfants rois parvenus à la puberté et à l'adolescence.

Une autre caractéristique voit le jour au fur et à mesure de son évolution vers l’âge adulte, celle d’une exploitation éhontée des relations interpersonnelles. Asservissant à ses besoins toutes les personnes avec qui il entretient des relations, c’est avec colère qu’il réagit lorsque ces derniers ne daignent pas se soumettre à sa volonté. Ce n’est qu’une question de temps pour que l'intensification de cette colère s'adresse à ses parents, particulièrement au tournant de la puberté alors que ces derniers continuent le plus souvent de demeurer ses otages. Utilisant parfois l'agression verbale et physique contre eux, le développement de sa force physique s’ajoute ainsi à son arsenal de contrôle et de domination déjà imposant. Voilà une explication potentielle et fort réaliste de certains parents molestés par un de leurs enfants, situation rapportée occasionnellement par les médias.

La culture de son égocentrisme et de son narcissisme, cet amour excessif et pathologique de sa propre personne, le prépare également à une dysfonction absolue dans le domaine de l’intimité où il poursuit son exploitation des relations. S’imposant comme roi et maître de ses sujets, omettant la plupart du temps les anniversaires des membres de sa famille et le don de présents, son partenaire de vie ainsi que ses enfants lui doivent obéissance et vénération. Souvent infidèle, c’est fréquemment qu’il entretient des relations hors couple, guidé pas ses instincts primaires et le plaisir narcissique qu’il retire de la sexualité. Incapable d’aimer et de toute remise en question de soi, la poitrine gonflée à bloc et orné d’une couronne de sa propre fabrication, la race humaine est à ses pieds.

Il est également fréquent que sa déviance le conduise à des difficultés de consommation. Contrairement au profil habituel du toxicomane et de l’alcoolique, chez qui cette problématique assure l’élimination de la souffrance affective issue d’une enfance destructrice de l'image et de l’estime de soi, l’enfant roi consomme par pur plaisir. De là à aboutir au trafic des stupéfiants dans le but de bénéficier des sommes colossales qu’une telle activité illicite rapporte, il n’y a qu’un pas qui peut devenir vite franchi.

En trente ans de métier, il m’a été donné de connaître plusieurs de ces enfants à l’âge adulte. Non pas parce qu’ils se présentaient en consultation, ce à quoi ils ne sauraient s’abaisser, mais bien plutôt parce qu’ils étaient les partenaires de patients que je recevais ou parce qu’ils participaient contre leur gré au programme de réhabilitation que j’offrais dans le système carcéral canadien. Dans ce dernier cas, je me rappelle un jeune homme de 29 ans, marié avec deux enfants et aux nombreuses maîtresses, dont les parents millionnaires lui avaient procuré dès l’âge de 14 ans une voiture de grand luxe, voiture qui avait vite été abandonnée à 16 ans pour une voiture sport allemande, suite à une crise de leur progéniture. Incarcéré pour trois ans suite à un trafic de stupéfiants et suivant le programme de Connaissance de soi dans une position physique qui donnait plutôt l’impression qu’il se dorait au soleil dans les îles du Sud, il a opposé un refus immédiat aux travaux obligatoires de réflexion personnelle, ce qui lui a valu l’expulsion du cours.

Une lettre de sa mère, contenu à son dossier, soulignait sa grande peine de voir son fils incarcéré. Elle prodiguait son encouragement à ¨son fils chéri¨(sic) et renouvelait sa croyance dans ses propos à l’effet qu’il avait été victime d’une erreur judiciaire, malgré les faits et les preuves irréfutables amassés contre lui. De plus, la mère ajoutait que père, riche homme d’affaires, avait prévu un poste au conseil d’administration dès son retour, afin de panser les affres de son incarcération. Le ton ainsi que le vocabulaire infantile de la lettre donnaient cette impression d’une maman qui s’adresse à son petit ¨choux¨ de 8 ans.

Je me rappelle également un homme de 34 ans qui me consultait pour d’importants problèmes de couple. La description des réactions de sa conjointe ne laissait aucun doute : il était le valet d’une enfant roi, qui continuait d’ailleurs de maltraiter sa mère et de la molester à l’occasion lorsqu'elle n'obéissait pas à ses exigences. Cette enfant de 36 ans, sous le coup de la frustration la plus insignifiante, pouvait se jeter par terre pour entrer alors en crise; elle frappait par terre des pieds et des mains, lançant ici et là les objets qui lui tombaient sous la main pendant que son conjoint et la fille de cette dernière, âgée de 13 ans, assistaient, médusés, à ce spectacle désolant d’une enfant de 4 ans en crise dans un corps adulte.

Un dernier exemple démontre plus clairement les traits psychopathiques ainsi que les niveaux de méchanceté que peuvent parfois atteindre la soif insatiable du pouvoir ainsi que l’égocentrisme, le narcissisme et l'inconscience de ces enfants rois dominateurs. Frappée assez régulièrement tout au long de son développement par une mère despotique qui tient bordel et exploite un hôtel, une patiente me raconte qu'elle devient utilisée par celle-ci et dès la puberté pour l’attrait marqué que son corps suscite auprès des clients en mal de sexe. Assise sur le bout du comptoir, telle que commandé par sa mère qui utilise les charmes sexuels de sa fille pour augmenter l’achalandage de la clientèle ainsi que le revenu de ses commerces, elle doit fuir occasionnellement en courant dans les différentes parties de l’hôtel pour se défendre seule contre des hommes ivres qui cherchent à la violer.

Échangée à l’âge de 18 ans par sa mère, pour une période d’environ deux ans, contre une automobile à un homme de 36 ans, elle devra subir une sexualité abusive. Pathologiquement soumise à sa mère, elle ne dit mot pour retourner dans le giron contrôlant de sa mère par la suite. La mère, actuellement âgée de plus de 80 ans et vivant dans un autre pays avec un multimillionnaire, soumet ses deux filles, dont ma patiente qui s’occupe gratuitement de l’entretien des immeubles de sa génitrice, à l’obligation de l’envoi d’un chèque mensuel en guise de remerciement pour les avoir mises au monde.

Intéressé à connaître le passé de cette mère dénaturée, je m’attends à un récit d’intenses abus chez cette personne. Bien au contraire, ma patiente résume l’enfance de sa mère en lançant qu’elle est une enfant gâtée et pourrie, qui a toujours obtenu tout ce qu’elle désirait depuis sa tendre enfance, au simple claquement des doigts.

Gilbert Richer Psychologue
Avril 2004


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